Rencontre avec RaphaËl Pichon

Au festival
vendredi15juillet 2016

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Avec Raphaël Pichon, le baroque a sa nouvelle génération. Après avoir assuré en 2014 la direction musicale de Trauernacht, le jeune chef revient cette année au Festival d'Aix pour deux grands concerts, à la tête de son ensemble Pygmalion. Deux programmes exceptionnels qu'il présente pour la toute première fois, autour de deux compositeurs au cœur de son parcours musical : Johann Sebastian Bach et Jean-Philippe Rameau... Rencontre avec le jeune loup de la nouvelle garde baroqueuse.

Pour cette édition 2016, deux orchestres sur instruments d’époque - le Freiburger Barockorchester ainsi que l’ensemble Pygmalion que vous dirigez – sont sur la place aixoise, comment expliquez-vous cette recrudescence d’orchestres baroques ?

Cela fait déjà trente ans que les orchestres sur instruments d’époque se développent de façon inouïe ! L’ensemble Pygmalion appartient déjà à la troisième ou quatrième génération de ces orchestres. Il faut cependant faire la distinction entre le Freiburger Barockorchester et Pygmalion. Le premier est un groupe constitué, sous une forme propre à la culture allemande où certains des musiciens sont « associés », membres permanents du groupe. Ils s’associent ensuite à un nombre important de chefs d’orchestre et de projets différents. Quant à Pygmalion, c’est un ensemble que j’ai créé de mes propres mains, et qui ne se produit que sous ma propre direction, au service d’un projet artistique unique. Deux expressions distinctes, avec chacune leurs atouts !

Qu’est-ce qu’un orchestre comme cela peut apporter ?

Avant tout une spécialisation de la part des musiciens qui ont pris le temps, parfois longuement, de se poser des questions par rapport à un répertoire donné, et de s’immerger dans les conditions de l’époque (instruments, style, pratique de jeu, langage, contexte). Cela offre ainsi des couleurs et des timbres spécifiques susceptibles de conférer un grain unique à ces répertoires du passé. S’il n’y a pas de quête d’authenticité, il y a néanmoins la recherche d’une vérité, non dogmatique, mais nourrie le plus possible des vœux et des conditions originelles du compositeur. Comme les pionniers des années 70, la volonté première de rendre le plus vivant possible ces répertoires reste le credo essentiel de ces orchestres !

Travailler avec régularité et sur le long terme avec des musiciens expérimentés et passionnés, n’est-ce pas un privilège au jour d’aujourd’hui?

C’est un choix extrêmement porteur et très riche en effet ! La France dispose de ce statut intermittent qui nous permet de choisir les personnes les plus adéquates pour défendre tel ou tel projet musical. Ce statut, extrêmement précieux, est la condition sine qua non de notre existence, de notre flexibilité et créativité, comme de notre survie.

Le 18 juillet, vous montez Zoroastre de Rameau : Que voulez-vous dire à ceux qui pensent que les œuvres lyriques de Rameau sont réservées à un public de connaisseurs ?

Les œuvres lyriques de Rameau sont certainement les plus riches, les plus variées, les plus vivantes et parfois bouleversantes, les plus contrastées, les plus inattendues et les plus révolutionnaires de tout le XVIIIe siècle français. Entre la musique de J.S Bach et celle de Rameau, il n’y a qu’un pas malgré leurs profondes différences : c’est peut-être la raison pour laquelle j’affectionne tout particulièrement Rameau.

Quelles sont les principales qualités de la musique de Rameau ?

Il y en a au moins quatre à mon sens : la danse, l’harmonie, l’orchestration et l’évolution révolutionnaire de sa forme. Tout comme Bach, une grande partie de la musique de Rameau se fonde sur la danse, tantôt virevoltante, tantôt tendre et passionnée, toujours vivante. De plus, à l’instar de Berlioz, Debussy et Ravel, Rameau est l’un des plus grands harmonistes de la musique française, mais aussi le premier orchestrateur de génie, capable d’une alchimie des timbres absolument inouïe. Enfin, il convient de souligner son combat peu connu pourtant dans l’évolution en profondeur de la forme de l’opéra français, rendant possible la grande réforme opérée par Gluck quelques années après sa mort.

On sait que Rameau était difficile de caractère et qu’il avait du mal à maintenir des rapports professionnels durables avec ses collaborateurs…

Des compositeurs qui ont mauvais caractèrere, il y en a sûrement eu une multitude ! Le caractère ne peut cependant discréditer votre génie. C’est un moment de l’histoire de la musique en France où la superficialité règne souvent en maître. À quelques années de la Révolution, le mot d’ordre est : « Régnez Plaisirs et Jeux » ! Dans cette période relativement morne musicalement, Rameau tire son épingle du jeu et bouleverse les attentes !

En quoi Rameau réforme-t-il l’opéra français ?

Dans Zoroastre, il supprime pour la première fois le prologue qui, existant depuis la naissance de l’opéra français, ne servait le plus souvent qu’à flatter l’égo du roi et des notables de l’époque. Il le remplace par une ouverture orchestrale flamboyante qui dépeint musicalement la situation fondatrice de l’opéra. Ici, les forces des ténèbres d’Abramane s’opposent aux forces de la lumière de Zoroastre. De plus, il transforme les ballets de sorte qu’ils n’interrompent plus le flux dramatique, mais au contraire prennent part directement à l’action. Il inscrit le livret, non pas dans une mythologie naïve et galvaudée mais pour la première fois dans l’histoire avec un grand H, ici le prophète Zoroastre. Il ouvre ainsi la voie à l’opéra à thèse morale où les personnages, amenés à parcourir un véritable trajet initiatique, nous délivrent désormais un message, témoin des valeurs des Lumières.

Vous avez-vous-même été chanteur, en quoi cette expérience nourrit-elle votre travail de chef de chœur ?

J’ai eu la chance de chanter très jeune au sein d’une maîtrise avant de faire une courte carrière en tant que contre-ténor. Avoir éprouvé physiologiquement et psychologiquement ce que peut ressentir un chanteur est très précieux pour un chef de chœur et d’orchestre. Cela m’aide parfois à saisir une difficulté technique, tenter d’y apporter une réponse, ou encore sentir ou deviner jusqu’où emmener les chanteurs. Cette expérience de quelques années de l’autre côté du miroir est d’un grand secours, et m’a inculqué avant tout l’amour des voix !

Vous dirigez le chœur Pygmalion le temps d’un concert de musique sacrée qui se déroulera dans la cathédrale d’Aix-en-Provence. À l’écoute des motets de J.S Bach, est-ce encore possible de douter de l’existence du paradis sur terre ?

Même si la plupart de ces motets ont été écrit pour des funérailles, ils sont l’expression totalement inouïe d’une joie pure, celle où la virtuosité rencontre la jubilation extrême. Plus que d’un simple marathon pour les chanteurs, il s’agit d’une expérience sensitive et sensorielle unique. La notion même de dépassement de soi s’accompagne ici d’une grande jubilation. Le génie de J.S Bach veut que cette musique ébranle tous les publics, qu’elle touche l’Homme au plus profond de son humanité.

C’est quoi la journée type de Raphaël Pichon au Festival d’Aix ?

C’est la réalité d’un métier souvent à cent à l’heure : 
Avoir joué la veille à l’autre bout de la France –  se lever très tôt – prendre le train et travailler – trouver l’énergie nécessaire pour une ultime répétition visant à s’imprégner des lieux, saisir l’acoustique, établir la disposition des musiciens et les ajustements nécessaires – avaler rapidement quelque chose – et enfin le concert ! 
Mais c’est aussi l’après-concert :
Un incontournable et nécessaire moment de convivialité – boire un coup ! –  refaire le monde et le concert – aller se coucher –  reprendre un train très tôt le lendemain – et on recommence !

Vos rêves musicaux…

J’aimerais… construire une salle de concert sur un bateau et partir plusieurs mois jouer dans le monde. Mais aussi jouer dans les théâtres antiques de la Méditerranée, dans pleins de lieux inouïs par leur emplacement et leur acoustique naturelle… Je rêverais aussi de créer les conditions de pouvoir répéter avec mon ensemble sans aucune finalité de concert, et ainsi prendre le temps d’appréhender en profondeur un style, un compositeur, une époque. Repenser ainsi la notion même de temps dans un monde où la musique est conditionnée par tant de données extra-musicales ! Enfin, à la scène, j’irais volontiers à la rencontre d’autres disciplines artistiques.

Propos recueillis par Aurélie Barbuscia le 22 juin 2016