JULIA SZPROCH, L’ANTI-DIVA

AcadémieEnoa
samedi27juin 2015

Partager

Une des plus jeunes artistes de la résidence de chant Mozart 2015 et participante ENOA, Julia Szproch nous livre ses impressions sur son expérience à l’Académie du Festival d’Aix… Rencontre avec cette jeune chanteuse trépidante à retrouver ce soir pour le dernier concert de la résidence Mozart à l’Hôtel Maynier d’Oppède.  

Quel est ton parcours ? Comment en es-tu venue à l’art lyrique et quand as-tu commencé à chanter ?

C’est une longue histoire : mes parents sont tous deux musiciens, j’ai commencé le piano à l’âge de 7 ans, mais le chant a toujours été mon mode d’expression favori. Lorsque j’étais en maternelle, tout le monde me demandait déjà de chanter. J’ai suivi des cours de musique classique à 15 ans mais, adolescente, je trouvais cela un peu ennuyeux, j’ai donc arrêté. Après le lycée, où je suivais des cours de théâtre, je ne savais pas vraiment vers quelles études me tourner et je ne voulais pas étudier sans réel but ; je voulais trouver ma voie. J’ai travaillé comme serveuse pendant deux ans, le temps de la réflexion, et j’ai finalement réalisé que je voulais faire du chant mon métier, bien que je n’aie jamais pris de cours. L’anecdote de mes débuts en chant est d’ailleurs assez drôle. Je voulais simplement être chanteuse (pas d’opéra), ma mère m’a donc donné le numéro d’une professeur de chant, qu’un collègue de l’Orchestre Philarmonique de Pologne – où elle joue de l’alto – lui avait transmis. Lorsque je l’ai rencontrée, cette professeur m’a dit : « je suis spécialisée dans le chant lyrique mais puisque tu es là (c’était assez loin de chez moi), faisons un essai ». Elle a finalement trouvé que j’avais la voix parfaite pour la musique classique. C’est ainsi, presque par hasard, que j’ai commencé le chant lyrique et c’est depuis une véritable passion qui me permet d’allier ce que j’aime faire le plus : chanter et jouer. J’espère avoir toujours à l’esprit cette chance et ne jamais devenir une diva. J’ai par la suite intégré l’Université de musique Frédéric Chopin (Varsovie, Pologne) où je fais actuellement un master en parallèle de mes études à La Chapelle (Waterloo, Belgique).

Tu es une habituée du répertoire mozartien. Ton approche de ce répertoire a-t-elle évolué avec la résidence ?

Ce que j’apprécie le plus c’est de travailler dans un environnement d’excellence. Tous les chanteurs de la résidence sont incroyables. J’arrive à peine à réaliser que j’en fais partie. J’apprends donc énormément de mes camarades, et pas uniquement des encadrants, car un certain nombre d’entre eux sont déjà très expérimentés. Les séances de travail m’aident à progresser et à pallier de mauvaises habitudes ; par exemple, dans le répertoire mozartien, j’ai tendance à accentuer la dernière note. Les conseils de grands professionnels sont très bénéfiques.

Un petit mot sur ENOA : que t’apporte ce réseau ?

Le réseau me permet tout simplement d’être ici, dans le plus bel endroit d’Europe. Je peux suivre des cours, me produire en concert, et tout cela grâce à ENOA. C’est une réelle opportunité pour moi.

A quoi ressemble une séance de travail aux côtés de Susanna Eken ?

Il me semble que je conçois le chant précisément de la même manière que Susanna Eken. Elle essaye de nous faire chanter en accord avec nos émotions, auxquelles nous devons laisser une large place. Par exemple, elle ne me laisse pas chanter si je n’ai pas d’images fixes en tête, si mon imaginaire ne travaille pas. Je dois rester concentrée sur la manière dont je conçois l’air que je chante et dont il me touche, un exercice difficile pour moi qui ai tendance à réfléchir beaucoup trop ! Il faut en fait se laisser aller à ses émotions profondes.

Je crois que tu as travaillé avec un ensemble contemporain de musique de chambre. En quoi la musique contemporaine t’attire-t-elle ?

Il ne s’agissait pas exactement de musique contemporaine mais davantage de musique de chambre « pop », un groupe avec tuba, piano, violoncelle et musique électronique. J’avais 19 ans, je suis allée au casting, ils m’ont choisie. Nous avons ensuite enregistré un album,Frozen Bird, et fait des concerts dans toute la Pologne. Puis l’aventure s’est arrêtée car je suis partie étudier hors du pays. Nous avons aujourd’hui pris des chemins divers mais c’était une superbe expérience, complètement différente de la musique classique. C’était d’ailleurs avant mes études en musique classique et je me consacre désormais entièrement à l’opéra mais ça ne m’empêche pas d’écouter n’importe quel type de musique. J’adore par exemple Radiohead. Et après plusieurs jours de travail intensif sur Mozart, j’avoue me détendre avec un bon Mickael Jackson, de retour à l’hôtel.

Comment imagines-tu ta future carrière ?

Je n’ai pas d’idée précise mais je suis persuadée que tout arrive à point nommé, pour de bonnes raisons. C’est pourquoi je dois travailler et rester ouverte à toutes les opportunités, même si certaines se révèlent douloureuses, au moins je me sens vivante. J’avance doucement mais sûrement. Juste avant mon arrivée à Aix-en-Provence, j’ai passé une audition à l’Opéra Bastille et je peux te dire en avant-première que je chanterai dans La Petite Renarde rusée (Janáček) à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille dans le cadre de la programmation jeune public, en avril 2016. Je suis d’ailleurs ravie de jouer devant des enfants et de profiter de leur innocence, leur honnêteté.

Donc tu es prête à voyager partout dans le monde avec des productions lyriques ?

Oui, c’est vraiment ce que j’aime faire. Bien entendu, d’ici quelques année j’aimerais fonder une famille mais pour le moment, je me sens libre, j’ai envie d’apprendre encore et faire de belles rencontres.

Si tu pouvais chanter dans l’un des opéras programmés cette année au Festival d’Aix, lequel choisirais-tu ?

Le Songe d’une nuit d’été (Britten)! Cette musique me fait un effet tout particulier, elle a un grain de folie et j’aime la folie. Et j’aime Shakespeare aussi. Il n’est pas évident de répondre à cette question car j’adore également Alcina. J’ai un jour chanté Tornami a vagheggiar, un air de cet opéra, mais j’ai compris que ce n’était pas encore le bon moment pour ma voix.

Parce qu’elle manque encore de maturité ?

Je ne parlerais pas nécessairement de maturité mais plutôt de technique. La respiration est primordiale en chant et lorsque j’ai interprété cet air, je n’avais pas encore acquis la bonne technique. Depuis j’ai ré-appris, notamment dans ma nouvelle école à La Chapelle où j’ai complètement revu ma technique vocale, à présent plus adaptée à ma voix et ses possibilités. Ainsi je peux chanter bien plus confortablement et aborder certaines œuvres plus facilement. L’idée est de pouvoir chanter sans penser à sa voix, comme lorsque l’on parle. Aujourd’hui ce n’est pas très révélateur car la soirée prolongée d’hier [les artistes de la résidence ont donné un concert à succès à l’Hôtel Maynier d’Oppède le 24 juin, NDR] a un peu eu raison de ma voix !

Quels sont tes projets après la Résidence ?

Je vais faire un petit boulot d’été car Bruxelles est une ville relativement chère lorsque l’on vient de Pologne. Je vais aussi bien sûr travailler le chant et j’espère qu’un jour je pourrais gagner ma vie grâce à l’opéra. Mais ça commence déjà à être le cas puisque je chanterai la saison prochaine à Paris. Une semaine de vacances est tout de même prévue à Berlin !

Propos recueillis par Alice Seninck