GHOST OPERA, UN PROJET BIEN RÉEL

AcadémieEnoa
samedi18juillet 2015

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Chaque année, l’Académie du Festival d’Aix accueille des équipes constituées de jeunes créateurs pour leur permettre d’expérimenter et de préciser des ambitions artistiques liées à un projet d’opéra. Pour la première fois cet été, le public a pu découvrir l’un de ces projets en cours de création, Ghost Opéra, théâtre-opéra imaginé par la compagnie FellSwoop Theatre. Bertrand Lesca, metteur en scène du projet, revient sur son expérience.

Vous venez du monde du théâtre, qu’est-ce qui vous attire dans l’opéra ?

Avec notre compagnie [ndlr. FellSwoop Theatre], basée à Bristol en Angleterre, nous travaillons depuis un certain temps avec la musique. D’ailleurs, depuis le début, nous collaborons dans tous nos spectacles avec Ben Osborn qui est compositeur en résidence. De plus en plus, nous réfléchissons à l’intégration de la musique pour créer une expérience de spectacle total. Nous avions envie d’aller vers l’opéra, ou dans tous les cas, vers un style plus musical et cela a vu le jour avec Ghost Opera : nous souhaitions voir comment notre formation théâtrale pouvait aller dans cette direction et emmener les comédiens vers le chant. Pour ma part, j’avais déjà travaillé un peu dans le monde de l’opéra puisque j’avais assisté Peter Brook sur La Flûte enchantée, puis Jérôme Combier sur Austerlitz au Festival d’Aix, mais je n’avais jamais signé de mise en scène d’opéra.

Lorsque vous avez commencé à travailler sur ce projet, vous aviez donc déjà l’idée d’en faire un opéra ?

Oui, tout à fait. En réalité, nous pensons à ce projet depuis plusieurs années. À chaque fois, nous réfléchissons à la manière d’intégrer de la musique, à la façon de prononcer les mots sur le plateau et de les insérer dans la musique.

Quels aspects souhaitiez-vous approfondir lors de votre semaine de résidence à Aix ?

Notre réseau en Angleterre est principalement lié au théâtre, nous n’avions pas vraiment de porte d’entrée vers la création d’opéra. J’ai alors pensé au Festival d’Aix et j’ai pris contact avec l’Académie et enoa [ndlr. European network of opera academies]. Je pense que l’idée de permettre à une compagnie de théâtre de s’aventurer vers le monde de l’opéra et de faire ce travail avec des comédiens a plu.

Pour ce projet, que nous avons imaginé avec Ben Osborn, nous avons fait appel à la compositrice Joséphine Stephenson qui avait déjà une expérience dans ce domaine. Nous souhaitions aussi collaborer avec un quatuor, pour voir comment sa musique pourrait s’insérer dans la dramaturgie du spectacle qui, à ce stade, n’était pas finie. L’Académie nous a alors proposé de collaborer avec le Quatuor Van Kuijk, présent pour une autre résidence.

Je pense que cette expérience a été un défi autant pour nous que pour le quatuor dont le travail sur le plateau était une première. Les musiciens reçoivent normalement une partition qu’ils interprètent, or, en tant que compagnie, notre travail est très collaboratif et nous faisons une écriture de plateau qui suppose beaucoup de changements. La représentation que nous avons donnée à Aix, en juin dernier, était le fruit d’une semaine où nous avons retravaillé différents aspects, tels que l’ordre des scènes et même la musique, car nous avons finalement décidé de conserver peu de musique écrite avant la semaine à Aix ; il y a donc eu beaucoup de réécriture. Pour ma part, cela m’intéressait de voir comment le quatuor allait adopter nos méthodes de travail et se frotter à l’improvisation ; lors de la représentation publique, dix minutes du spectacle étaient d’ailleurs entièrement improvisées. Bien qu’ils connaissaient la scène, il fallait qu’ils répondent au jeu des comédiens, qu’ils soient à l’écoute et qu’ils se dirigent seuls, sans indication de la compositrice. C’était vraiment intéressant.

Comment la collaboration avec le dramaturge Willem Bruls s’est-elle passée ?

J’ai rencontré Willem Bruls à Gand, lors d’un atelier enoa sur l’écriture de livrets, où j’avais eu l’occasion de travailler avec un compositeur et un librettiste. Nous nous sommes très bien entendus et le projet que nous avions présenté lui avait plu. Lorsque l’Académie nous a proposé une aide dramaturgique, j’ai pensé à lui.

Willem venait observer les séances de travail mais n’intervenait pas. À la fin de la séance, nous échangions. Dès que nous avions une question, nous pouvions nous tourner vers lui, il était en quelque sorte un référent avec un regard extérieur par rapport au processus de création. Il nous donnait des indications courtes et précises. Il nous a poussés à aller vers plus de clarté dans la façon de dire le texte et à travailler différemment avec les musiciens, en laissant à Joséphine Stephenson le soin d’être le lien entre eux et nous, même si cela pouvait parfois créer un certain cloisonnement, contraire à notre façon de travailler en compagnie. Rétrospectivement, je pense que si nous refaisions l’expérience, je demanderais au quatuor davantage d’engagement créatif car je pense qu’ils en étaient désireux. Pour nous, le but est de les inclure dans la réflexion sur le travail de plateau et sur nos intentions musicales.

Ghost Opera a été donné en public le 27 juin dernier, une grande première pour les projets d’opéra en création de l’Académie, était-ce un souhait de votre part ? Quels enseignements en avez-vous tirés ?

La proposition est venue de l’Académie et nous avons tout de suite accepté. Je pense qu’il est important d’avoir une date butoir à laquelle il faut présenter quelque chose. Bien sûr, cela influence la façon dont on présente la pièce, mais cela nous oblige à prendre certaines décisions, à ne pas rester flou et à donner du sens à ce que nous essayons de créer. Dans la mesure où la représentation n’était pas surtitrée (ndlr. spectacle en anglais), nous devions être très clairs afin de ne pas perdre le public. Je pense toutefois intéressant de présenter des projets en cours de création même si cela oblige à se concentrer sur la représentation et moins sur le processus de création. De notre point de vue, cette porte ouverte sur une salle de répétition d’un projet en cours est très intéressante. J’espère qu’il en est de même pour le public qui a découvert Ghost Opera. Il ne faut pas oublier que le spectacle n’est pas fini, qu’il s’agit d’une restitution à mi-chemin mais je pense que l’introduction que Willem Bruls, Paul Briottet et moi-même avons faite avant la représentation allait dans ce sens.

Le jeu d’acteur-chanteur est central dans le projet que vous avez présenté, comment avez-vous travaillé avec eux ?

Nous souhaitions que les comédiens finissent par trouver leur propre langage musical et leur propre façon de chanter. Nous ne leur avons transmis aucun code, aucune norme, nous voulions qu’ils choisissent leur propre direction et qu’ils se sentent à l’aise. Notre objectif était de travailler avec la voix de chaque comédien, sans essayer de la changer. Fiona Mikel, par exemple, a une très belle voix qui n’est pas lyrique mais qu’on encourage à aller vers le chant. Avec Jack Morning-Newton nous avons surtout travaillé le phrasé, la façon dont les mots vont se poser sur la musique dans un style qui est plus de l’ordre du « spoken word », un peu à la manière de Patti Smith ou Laurie Anderson. Bien entendu, nous les avons poussés à aller vers quelque chose de plus lyrique car le spectacle est en quelque sorte un soliloque chanté. Notre ambition est de poursuivre, avec les comédiens, le travail sur leur capacité à mettre des mots en musique.

Quelles sont les prochaines étapes de ce projet ?  

Fin juillet, nous présentons le spectacle au Festival Frinje de Madrid où nous avions joué l’an passé. Nous allons présenter une forme plus développée de la dramaturgie mais sans le quatuor à cordes qui aura été préalablement enregistré. À la rentrée, nous avons à peu près deux semaines de répétitions pour finaliser le spectacle, en tout cas dans sa durée, puis nous partons en tournée en Angleterre de fin septembre à début novembre. Nous espérons reprendre le spectacle pour le jouer notamment en France et en tournée.