DON GIOVANNI, UNE PARABOLE EXISTENTIELLE ?

Au festival
lundi22avril 2013

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Qui se cache derrière Don Giovanni ? Figure sulfureuse, ce personnage n’en reste pas moins l’un des plus énigmatiques de notre imaginaire collectif, comme le montre la multiplicité des interprétations que les artistes en ont proposé.

Dmitri Tcherniakov, enfant terrible de l’opéra sacré “meilleur metteur en scène” aux Opera Awards 2013, s’est lui aussi prêté au jeu. Dans cet entretien accordé en 2010, il nous révèle sa propre lecture du mythe, qui sert de ligne directrice à sa mise en scène de l’opéra de Mozart repris cet été au Festival d’Aix.  Plus subversif que jamais, Don Giovanni n’en a pas fini de nous faire revenir sur nos certitudes…

« Je pense qu’à un certain moment de sa vie – peut être suite à une désillusion totale ou à une révision cardinale des valeurs – Don Giovanni a pu accéder à une compréhension nouvelle.

Il comprend alors que le sens n’est pas là où tout le monde le trouve habituellement. (…) Il comprend aussi que lui seul, le marginal, la « bête noire », peut faire entendre cette leçon. Et il met alors en œuvre un plan grandiose : apporter une vérité nouvelle au monde des hommes. C’est pour lui comme une mission d’intérêt supérieur : il doit inventer un langage nouveau, retrouver un état antérieur de l’humanité, retourner à la source.

Dans notre spectacle, le terrain d’expérience de Don Giovanni présente le modèle de relations humaines le plus réglementé et le plus hiérarchisé possible et qui, tel une forteresse, semble a priori destiné à lui résister. Ce champ d’expérimentation est une famille bourgeoise et riche, avec tout ce que cela implique de règlements implicites, de valeurs établies, de moyens de protection. Cette famille (…) est aussi une image du monde. Lorsque Don Giovanni rentre dans ce cercle et commence son activité subversive, nous voyons tout de suite à quel point il est marginal, solitaire, « différent ». Lui est seul, eux sont unis. Dès lors, il ne s’agit pas de mettre l’accent sur la stratification sociale. On se trouve plutôt face à une parabole existentielle. Le but de Don Giovanni n’est pas de s’opposer au système des valeurs bourgeoises, mais d’explorer un chemin autre. Il ne lutte pas «contre», il lutte «pour» !

Le fait est que tous les autres personnages tombent dans le piège dressé par Don Giovanni et que, malgré leurs efforts, ils en viennent à le suivre dans ses folies.D’abord forts de leurs principes, ils finissent par les trahir sous l’influence du séducteur, et en même temps ils éprouvent une peur inconsciente, ils ne savent plus que faire ni que croire. C’est qu’il est difficile de devenir vulnérable, d’entrouvrir sa coquille, de dénuder son âme… Tout leur système de valeurs s’écroule donc devant leurs yeux. Mais Don Giovanni n’est pas heureux pour autant : il comprend que son expérience tourne en rond. Hystérique, il essaie de forcer les choses et les gens.

Or il n’y a pas de bonne voie. Don Giovanni a raison. Les autres aussi. (…) Et peut-être bien qu’il ne faut pas détruire cette «coquille» de la civilisation, parce qu’on se retrouve alors dans une impasse… A la fin de l’ouvrage, tous les personnages, débarrassés de Don Giovanni et de son influence, sont pressés de remettre leur «plumage», de se retrouver en un lieu connu et bien protégé. Mais le cœur n’y est plus : Don Giovanni n’aurait-il pas eu raison ? Ne leur a-t-il pas montré un autre aspect des choses ? C’est là que se confrontent deux réponses à une seule problématique : comment réussir à vivre sa vie. Nous nous demandons comment notre existence est organisée et structurée, de quoi elle est constituée, nous voulons en comprendre les principes, savoir si nous avons raison ou non. Mais fondamentalement, il n’y a pas de réponse univoque. Et à la fin de l’opéra, aucun vainqueur… »