AOIFE MISKELLY : RENCONTRE AVEC LA FILLE AÎNÉE DE “TRAUERNACHT”

AcadémieAu festivalEnoa
lundi21juillet 2014

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À quelques heures de la dernière représentation à Aix-en-Provence du sombreTrauernacht, retour sur la rencontre avec la rayonnante soprano irlandaise Aoife Miskelly que le public aixois a déjà eu le plaisir de découvrir dans le rôle de Tirésias (Les Mamelles de Tirésias, Poulenc) en 2013.

Quand avez-vous appris que vous étiez retenue pour le rôle ? Quel était le synopsis initial que vous avez reçu ?

J’ai été auditionnée par Katie Mitchell et Raphaël Pichon en janvier dernier, à Londres. J’ai su très vite que j’avais été retenue pour le rôle. Le synopsis ne nous a été envoyé qu’aux alentours d’avril, le sujet étant resté assez secret. Je pense que Katie Mitchell souhaitait laisser évoluer ses idées jusqu’au moment où nous serions tous réunis à Aix. À vrai dire, nous avions très peu d’éléments dramaturgiques : nous savions qu’il s’agissait d’une famille dont le père venait de décéder.
Le projet a évolué au cours des répétitions. Lorsque Katie est arrivée, nous avons beaucoup échangé sur le contexte, l’histoire ; nous avions chacun des idées différentes et cela a été très utile de pouvoir les confronter, guidés par elle. Par exemple, encore récemment, nous avons discuté de la mort de ce père, de sa maladie. Katie nous a poussés à être très précis sur les détails.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre personnage dans Trauernacht ?

Je suis l’aînée d’une famille de quatre enfants, notre mère est morte il y a cinq ans et j’habite dans la maison familiale avec mon père jusqu’à son décès. D’une certaine façon, je me sens responsable du bien-être de mes frères et de ma sœur.

Comment avez-vous découvert la musique de Bach ?

Ma première rencontre avec Bach remonte à mon enfance. À l’époque, j’étudiais le violoncelle. Je trouvais ses Suites tellement envoûtantes et réconfortantes. J’ai aussi chanté dans un chœur professionnel en Irlande. J’adorais chanter les motets de Bach. Mon rapport à Bach est autant instrumental que vocal. Je pense que l’expérience chorale m’a été très utile pour Trauernacht car nous chantons beaucoup en groupe, comme un quatuor. Il faut savoir s’écouter mutuellement, respirer en même temps, être très précis sur les consonnes, ce que nous avons beaucoup travaillé avec Raphaël Pichon.

Quel est votre compositeur préféré ?

Je pense que mes préférences évoluent avec le temps, avec l’humeur du moment, mais j’adore la musique de Britten, de Rachmaninov… J’écoute aussi beaucoup de musique en dehors de la musique classique : les Dixie Chicks que j’adore, Lisa Hannigan, Damien Rice, U2 bien sûr ! Et puis les jours de répétitions où il faut se lever très tôt et qu’on a du mal à se réveiller, rien de tel que du Withney Houston !

Votre personnage dans Les Mamelles de Tirésias est drôle et dynamique, à l’opposé de votre rôle dans Trauernacht : est-ce tout aussi épuisant d’incarner le désespoir et la tristesse dans un mouvement au ralenti que cela peut l’être de danser, sautiller et chanter ? 

Je pense que c’est épuisant émotionnellement, plus que physiquement. La musique de Bach est très émouvante autant pour celui qui l’écoute que pour celui qui l’interprète. C’est une musique qui touche au plus profond de l’être : nous avons tous déjà fait l’expérience du deuil, du sentiment de détresse et de peine. Je pense que le rythme de Trauernacht, et notamment le jeu sur scène au ralenti, permet au public de pénétrer dans ce monde. Les Mamelles de Tirésias est un spectacle d’une grande théâtralité avec de la danse, à l’opposé deTrauernacht. Alors que dans Les Mamelles de Tirésias les chanteurs sont très sollicités physiquement, dans Trauernacht on attend des interprètes que leurs mouvements soient gracieux, lents et contrôlés. Nous avons presque l’impression de ne pas être en train de jouer ; c’est comme si nous étions dans notre salle à manger, assis autour de la table, en se remémorant le souvenir de notre défunt père. Katie Mitchell voulait qu’on se concentre sur les moindres détails, qu’on évite les mouvements caractéristiques des chanteurs d’opéra.

Comment se passe le travail avec Katie Mitchell ?

Katie Mitchell est phénoménale, elle a l’œil pour les détails et voit tout ! Elle a une vraie capacité à analyser les situations et travaille beaucoup sur la psychologie du spectacle et des personnages. Contrairement à d’autres rôles, sur Trauernacht nous étions face à une page blanche, nous avons pu créer notre propre histoire dans un processus collaboratif. Katie nous a beaucoup encouragés à exprimer nos idées. C’était formidable de travailler avec elle.

Trauernacht est votre deuxième production enoa en un an, est-ce que vous avez le sentiment que le réseau a eu un impact dans votre carrière professionnelle ?

enoa offre aux jeunes chanteurs des espaces pour se produire dans le cadre d’un vaste réseau et de collaborer avec des professionnels de haut niveau. Franchir le cap entre les études et la vie professionnelle n’est pas toujours facile. Je pense qu’enoa et le Festival d’Aix-en-Provence participent à cet effort en offrant de nouvelles opportunités. Ils ont beaucoup de courage et de vision en produisant des projets tels que Trauernacht. C’est ce qui maintient l’avenir de l’opéra dynamique, conserve l’enthousiasme du public et donne aux jeunes chanteurs la chance de profiter de ces opportunités.

Quels sont vos futurs projets ?

Après Trauernacht, je vais profiter de deux semaines de vacances. Je pars ensuite chanter Pamina à l’Opéra d’Irlande du Nord, à la suite de quoi je rejoindrai la troupe de l’Opéra de Cologne dans laquelle je suis engagée jusqu’à l’été 2016. La saison prochaine, je devrais y interpréter sept rôles.

Pour finir, quel est le rôle que vous rêveriez d’interpréter ?

Mon rôle préféré est sans aucun doute celui de la Gouvernante dans Le Tour d’écrou de Britten. En réalité, je l’ai déjà chanté dans une production étudiante à Dartington mais j’aimerais l’interpréter à nouveau. J’aime beaucoup sa musicalité, et cette histoire qui fait si peur ! Et bien sûr, je suis toujours ravie de découvrir de nouveaux rôles et de m’embarquer dans de nouveaux projets.

Propos recueillis le 12 juillet 2014

> A voir : l’album photo de Trauernacht

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