MONTEVERDI AU FESTIVAL

Histoire du Festival
mercredi15mai 2024

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Claudio Monteverdi (1567-1643) est de nouveau mis à l’honneur en 2024, avec Il ritorno d’Ulisse in patria (1640). Après avoir présenté L’incoronazione di Poppea (1642), et l’Orfeo (1607) à Aix en 2022, Leonardo García Alarcón, spécialiste de musique baroque, et notamment de celle de Monteverdi, assure à nouveau la direction musicale de cet opéra avec son ensemble Cappella Mediterranea. De l’Orfeo à L’incoronazione en passant par les compositions madrigalesques et la musique religieuse de Monteverdi, le Festival contribue à inscrire le compositeur italien dans le temps des origines de l’opéra tout en affirmant sa profonde modernité.

De l’Orfeo à L’Incoronazione en passant par les compositions madrigalesques et la musique religieuse de Monteverdi, le Festival contribue à inscrire le compositeur italien dans le temps des origines de l’opéra tout en affirmant sa profonde modernité.

L’ORFEO DE MONTEVERDI : AUX RACINES DE L’OPÉRA ET DU FESTIVAL D’AIX

Si le Festival d’Aix débute sous des auspices mozartiens, Monteverdi n’est déjà pas très loin. En 1950, Gabriel Dussurget programme un « concert Monteverdi » : il s’agit d’une version concertante de l’Orfeo – un spectacle rare à cette époque, où l’œuvre du compositeur, si elle n’est pas inconnue, est peu exécutée, ou alors pour un public confidentiel. La présence de nombreux musicologues dans l’entourage du directeur artistique, et en particulier Georges de Saint-Foix, familiarisé avec Monteverdi lors de son passage à la Schola Cantorum, explique cette tendance dès les premières éditions du Festival.

Très vite, Monteverdi devient un des piliers sur lequel le Festival construit son identité : « latin », « méditerranéen », mais surtout considéré comme le père de l’opéra avec son Orfeo (1607), Monteverdi a toute sa place dans un festival qui a pour ambition de régénérer l’art lyrique et l’incarner sur le territoire provençal.

Une première représentation scénique de l’Orfeo a lieu à l’été 1965, dans une mise en scène du dramaturge italien Sandro Sequi. Loin des interprétations historiquement informées, l’orchestre dirigé par Gianfranco Rivoli accompagne une production qui présente surtout un objectif : faire entrer dans le XXe siècle l’œuvre fondatrice du genre lyrique.

C’est dans le même esprit de retour aux sources de l’opéra et dans un geste de refondation de l’institution que Stéphane Lissner livre une « trilogie Monteverdi » lors de son arrivée au Festival : L’Orfeo en 1998, L’Incoronazione di Poppea en 1999 et Il ritorno d’Ulisse in patria en 2000.

L’Orfeo est donc à nouveau présent lors de la renaissance du Festival en 1998 : la mise en scène est confiée à la chorégraphe américaine Trisha Brown (1936-2017), qui porte l’œuvre par un nouveau souffle grâce à la danse. En 1965, la mise en scène de l’Orfeo de Sandro Sequi intégrait aussi la chorégraphie de Clotilde Sakharoff (1892-1974), danseuse et chorégraphe expressionniste. 

La production de 1998, dirigée par René Jacobs (chanteur et chef d’orchestre belge spécialisé dans la musique baroque), est reprise en 2007 sous la direction de Bernard Foccroulle, avec Stéphane Degout dans le rôle d’Orphée.

Il faut également souligner le rôle prégnant de l’Académie européenne de musique dans les productions montéverdiennes du Festival - comme si à l’éclat de la naissance du genre lyrique répondait la jeunesse des chanteurs.

RECRÉER : L’OPÉRA BAROQUE SE DÉVOILE À AIX

En proposant au public en 1961 une production de L’Incoronazione di Poppea, le Festival offre l’une des premières représentations scéniques de l’œuvre au XXe siècle. Suzanne Lalique conçoit un palais antique en trompe-l’œil et drape tous les chanteurs dans des toges pour recréer la Rome impériale.

Dans la fosse, Bruno Bartoletti dirige une large formation orchestrale « classique » et de grandes voix habituellement dimensionnées pour un répertoire lyrique italien du XIXe siècle : Teresa Berganza (Octavie) Robert Massard (Néron) et Jane Rhodes (Poppée) forment ainsi un trio quelque peu anachronique, mais convaincant. Sur les trois heures de musique auxquelles nous sommes désormais habitués, seule une heure et demie de représentation est assurée : de larges coupures sont effectuées, certains airs ne sont pas donnés (notamment le célèbre ‘Pur ti miro’ final) dans cette version de Gianfranco Malipiero.

Si elle charme le public, cette production déçoit quelques mélomanes et les musicologues avertis. Le spectacle part en tournée au festival du « Mai de Versailles » en 1962, avant de revenir à l’été 1964 à Aix.

Près de quarante ans plus tard, une nouvelle production de L’Incoronazione di Poppea fait date au Festival (1999). Klaus Michael Grüber propose une mise en scène épurée et sensuelle, dans un décor imaginé par le peintre Gilles Aillaud. Pins de Toscane, fresques de Pompéi : tout un tableau de la campagne italienne se dessine pour accueillir une mise en scène minutieuse, à la direction d’acteurs précise.

Le spectacle est également marquant d’un point de vue musical, puisqu’il s’agit du premier opéra dirigé par Marc Minkowski à Aix-en-Provence. Le chef avait choisi la version dite du « manuscrit de Venise ». L’intrigue est resserrée autour du couple de Néron (Anne Sofie von Otter) et de Poppée (Mireille Delunsch), supprimant le rôle de la nourrice. Sylvie Brunet livrait aux côtés de ce couple une troublante Octavie.

Sans donner à entendre un orchestre « baroque », Marc Minkowski avait largement enrichi la partie de continuo (instruments qui assurent la basse continue dans la musique baroque) et livrait une partition aux couleurs chatoyantes. Le spectacle connait un grand succès, et est repris en 2000.

Enfin, toujours attaché à faire découvrir des œuvres méconnues, le Festival propose en 2000 une production du Ritorno d’Ulisse in patria par l’Académie Européenne de Musique – aboutissement de sa résidence de chant de cette même année.

LES MADRIGAUX ET LA MISE EN SCÈNE : LE FESTIVAL COMME CENTRE D’EXPÉRIMENTATION

Le Festival d’Aix présente dès les années 1960 des mises en espace et des mises en scène des madrigaux de Monteverdi. Elles constituent un véritable exercice de démonstration : celui de prouver que le madrigal se situe aux sources de l’opéra, et qu’il est intrinsèquement moderne – par l’économie de ses moyens, par son expression émotionnelle inédite.

Dans la vaste production de madrigaux de Monteverdi, le livre VIII constitue un point de focale : le Combattimento di Tancredi e Clorinda concentre l’attention des programmateurs du Festival et des metteurs en scène.

En 1961, le Festival propose une version chorégraphiée du Combattimento, où les deux Étoiles de l’Opéra de Paris Claude Bessy et Attilio Labis incarnent les doubles dansants de Jane Berbié et Luigi Alva. Cet ensemble de Madrigali guerriesi e amorosi est à nouveau mis en scène par un danseur en 1967 : Pierre Lacotte imagine avec le décorateur François Ganeau une soirée autour du Combattimento « sous la verte voûte de platanes du Tholonet », pour une unique représentation, le 26 juillet 1967.

Dans ces versions, une large place est faite à la danse – car l’on sait que les fêtes de Cour comportaient de vrais bals, et qu’elle était intégrée à la dramaturgie des spectacles de Monteverdi.

En 1970, une nouvelle expérience recrée l’ambiance supposée de la Cour de Mantoue au tout début du XVIIe siècle. Costumes anciens, danses baroques : la mise en scène de Sandro Sequi, dans la Cour du Palais l’Archevêché (palais qui devient le miroir de celui de Mantoue), fait du Festival d’Aix un nouveau berceau de l’opéra.

En 1999, Stéphane Lissner organise une nouvelle « soirée madrigalesque » à l’Hôtel Maynier d’Oppède autour d’un programme « Cena Furiosa », véritable banquet musical mis en scène par Ingrid von Wantoch Rekowski, et dirigé par Marc Minkowski.

Ces montages scéniques autour de madrigaux ont toujours été l’apanage du Festival, faisant de cette production musicale de Monteverdi une cheville ouvrière de son œuvre et un tournant dans l’histoire de l’art lyrique. Les productions présentées au Théâtre de l’Archevêché ou au Théâtre du Jeu de Paume consacrent ces œuvres en tant que productions lyriques à part entière.

MONTEVERDI, PONT ENTRE LA MUSIQUE ANCIENNE ET LA MUSIQUE CONTEMPORAINE

Le Festival d’Aix, à travers l’ensemble des productions et des concerts de Monteverdi qu’il a proposés, a été un centre de la pédagogie autour de son œuvre.

Il a également contribué à développer un discours autour de Monteverdi, qui, non content d’en faire le premier maillon d’une chaîne de grandes figures de l’opéra le reliant à Lully, Mozart et Wagner, le dépeint aussi comme le fondateur du langage musical moderne : une double définition de l’art lyrique à laquelle le Festival se rattache.

On peut ainsi lire dans le programme du Festival de 1967 cet hommage rendu par Claude Rostand à Monteverdi à l’occasion du 400e anniversaire de sa naissance : « L’âme du Festival d’Aix est l’opéra. Et il était bien juste qu’ainsi orienté, ce festival tînt à honorer avec constance, régularité, et diversité le créateur de l’opéra, celui qui, en inventant le genre, et en le portant dès le seuil de l’histoire lyrique à son point de perfection le plus achevé, en résolvait, à l’avance et d’un seul coup, tous les problèmes techniques et expressifs sur lesquels ses successeurs les plus ingénieux ou les plus géniaux allaient ensuite besogner, voire trébucher tout au long des siècles ».

La mise en dialogue de l’œuvre de Monteverdi avec des compositeurs contemporains au Festival est courante, comme lors de l’édition 1983 : Il Combattimento, mis en scène par Ian Strasfogel, est précédé de Passaggio de Lucianno Berio (1963). Il s’agit de la création française de cette messa in scena pour soprano, double chœur et orchestre – une réflexion sur le genre de l’opéra, la voix et la dramaturgie, qui fait écho aux expérimentations engagées par Monteverdi quatre siècles auparavant.

INTERPRÉTER : LA SPÉCIALISATION DE LA MUSIQUE BAROQUE

Des ensembles spécialisés dans l’interprétation de Monteverdi se sont succédé à Aix – au concert comme pour les opéras ou les madrigaux mis en scène, et ce mouvement s’est renforcé depuis les années 1980. René Jacobs, les Arts Florissants dirigés par William Christie, et cette année l’ensemble Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón.

Le Festival programme aussi des concerts de la musique religieuse de Monteverdi, souvent interprétée par les mêmes ensembles de musique spécialisée dans les répertoires baroques.

Déjà en 1965, la Princeton Choir était venue interpréter la Selva Morale e spirituale (1641) - un recueil de quarante pièces religieuses dont les liens avec la musique profane de Monteverdi sont étroits. Le 22 juillet 1992, les Arts Florissants donnent à nouveau des fragments de la même Selva morale e spirituale à la Cathédrale Saint-Sauveur.

Anne Le Berre