SVADBA, UNE AFFAIRE DE FEMMES (MAIS PAS QUE)
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Trois origines géographiques différentes, trois parcours et trois personnalités différentes. Svadba les a réunies. La soprano Florie Valiquette (Milica) est Québécoise, la mezzo-soprano Pauline Sikirdji (Zora) est Française, la soprano Liesbeth Devos (Danica) est originaire d’Anvers, en Belgique néerlandophone. Quelques questions à ces trois interprètes de talent qui contribuent à faire deSvadba un moment d’exception.
Quel est votre rapport au Festival d’Aix et à la ville d’Aix ?
FV : Je suis venue à l’Académie, déjà. Plus exactement, j’ai chanté dans une production de l’Académie qui a été présentée au Bahreïn, L’Enfant et les Sortilèges. Mais c’est mon premier été ici.
PS : C’est mon tout premier été ici. Je ne suis jamais venue en tant que spectatrice, mais je dois dire qu’au bout d’un mois de travail sur Svadba, je commence véritablement à me sentir aixoise.
FV : On prend facilement le rythme de vie, entre le marché, les ruelles du centre-ville… etSvadba. [rire collectif]
LD : Je suis venue à l’Académie il y a quelques années, pour une résidence Mozart. Puis je suis revenue pour chanter Barberine dans la production des Noces de Figaro en 2007.
Étiez-vous amenées par votre formation, vos goûts musicaux, à interpréter la musique d’aujourd’hui et notamment celle d’une compositrice ou d’un compositeur vivant ?
LD : Je fais pas mal de musique contemporaine, j’ai aussi enregistré un disque et travaille beaucoup avec un ensemble important en Belgique, « het collectief ». De toute façon, on fait un peu de baroque, un peu de musique contemporaine, on a tendance à passer facilement d’un genre à l’autre.
FV : Dès l’université, on est amenée à explorer différents styles musicaux. Pour les concours, on nous demande souvent d’interpréter des pièces plus contemporaines, modernes. Pour ma part, même si Svadba est mon premier opéra contemporain, j’ai déjà travaillé la musique des compositeurs québécois d’aujourd’hui Denis Gougeon, que je connais personnellement, et Claude Vivier.
PS : J’ai été instrumentiste, notamment pianiste, avant d’être chanteuse et donc le rapport à la musique contemporaine s’est fait par ce biais-là. Pour moi, c’était naturel, de jouer la musique contemporaine. Ce répertoire s’adresse bien sûr aux chanteurs qui peuvent le faire et qui en ont envie. Il y a en effet des chanteurs qui commencent tard, ne sont pas très amis avec le solfège… Il est donc compréhensible qu’ils ne soient pas trop intéressés par la musique d’aujourd’hui. Interpréter la musique contemporaine, c’est aussi travailler avec des metteurs en scène qui vont vous amener à sortir des sentiers battus. J’ai pas mal travaillé avec des gens du théâtre.
LD : C’est Bernard Foccroulle qui m’a offert l’occasion d’une première expérience en opéra contemporain, à l’époque où il était encore directeur à la Monnaie, avec Frühlingserwachen,L’Éveil du printemps, d’après Frank Wedekind, de Benoît Mernier. C’était aussi ma première expérience en musique contemporaine. On a plus de possibilités, je trouve, dans ce répertoire, plus de force. Parce qu’on est souvent seule à chanter telle ou telle pièce, ce n’est pas comme Mozart.
PS : C’est une vraie ouverture, mais c’est bien de faire autre chose, comme avec la musique baroque.
LD : Il y a beaucoup de compositeurs qui ne savent pas écrire pour la voix, ce qui n’est pas le cas d’Ana Sokolović. Elle écrit vraiment très bien pour la voix. La musique contemporaine demande hélas souvent des choses qui sont techniquement difficiles et pas forcément bonnes pour la voix. C’est bien de varier le répertoire.
PS : Il m’est déjà venu à l’esprit de demander à un compositeur de retirer les contre-ut et contre-ré qu’il avait prévu pour ma partie. Mais je ne l’ai pas fait. Je me suis dit qu’on ne me demandait peut-être pas forcément que ce soit beau au sens classique du terme, qu’il fallait que je comprenne l’intention du compositeur et que j’essaye, tout simplement. Et en fait, ça a marché ; cet état d’esprit, je ne l’aurais jamais eu dans un répertoire plus classique. Je me suis dit que ça ne serait peut-être pas forcément beau tout de suite, mais que c’était peut-être cela que voulait le compositeur. C’était l’occasion d’oser plein de choses, même en bas, dans la voix de poitrine. Dans Svadba, c’est exploré de manière burlesque et un peu au second degré. Dans Svadba, la tessiture n’est pas forcément habituelle. Ana Sokolović demande de poitriner assez haut. Ça, c’est vrai qu’on n’en a pas l’habitude. Il y aussi beaucoup de voix parlé en rythme. On explore moins la voix parlée, en général, mais ça reste dans nos cordes.
Au cours des séances de préparation de Svadba, l’interaction entre vous est-elle venue spontanément ou bien cela a-t-il nécessité du travail ?
LD : Très spontané, depuis le premier jour. [rire collectif] Un matin, on s’est vues pour la première fois, l’après-midi, on était déjà des copines.
PS : Je me suis dit que le casting avait vraiment été bien fait. C’est important qu’il n’y ait pas de diva.
LD : Nous sommes très différentes, mais travaillons dans un même esprit. Nous voulons toutes la même chose.
FV : C’est assez rare, tout de même, de pouvoir travailler de manière aussi rapprochée dans de telles conditions. C’est un vrai bonheur.
Les metteurs en scène Ted Huffmann et Zack Winokur ont-ils eu une influence dans le fait que vous vous soyez senties bien tout de suite ?
PS : Nous n’avons pas travaillé immédiatement avec les metteurs en scène et déjà, il y avait quelque chose entre nous. Ils l’ont vu tout de suite, quand ils nous ont rejointes.
LD : Zack Winokur a dit : « Ah, cet endroit est plein d’énergie féminine ! » C’est très amusant, parce que mis à part la compositrice, les chanteuses, la répétitrice pour la langue serbe et Dáirine Ní Mheadhra qui assure la direction musicale, toute l’équipe, du régisseur à l’assistant à la mise en scène, en passant par le répétiteur musical percussionniste, est composée d’hommes.
Pour le public, il s’agit quand même d’une affaire de femmes.
LD : Oui, mais derrière chaque femme de talent se cache toujours un homme… [rire collectif]
PS : À vrai dire, Ana Sokolović regrette d’entendre parfois cette question : « Avez-vous écrit un opéra pour six femmes parce que vous êtes féministe ? » Comme Svadba réunit six filles, il y a des gens qui se posent cette question. Il est évident pour moi que le propos n’est pas féministe. Il est surtout question du passage d’un monde à l’autre.
Pour vous, le propos dépasse-t-il celui de l’histoire de femmes ?
PS : Pas tant que ça, non plus. Le sujet n’aurait pas été traité de la même manière avec des hommes.
FV : Svadba célèbre la beauté de la femme, même s’il est question de rite de passage.
LD : L’énergie de la femme, aussi, je dirais.
PS : On se dit quand même plus de choses entre femmes que les garçons entre eux.
Cet opéra renvoie donc aussi pour vous à quelque chose de personnel, d’une certaine façon.
LD : Surtout hors scène.
FV : Je pense que chacune d’entre nous, et même parmi le public, peut trouver quelque chose qui rappelle les étapes de la vie, pas nécessairement le mariage, un nouveau départ, une vie nouvelle.
PS : Quand je suis partie de chez mes parents, à vrai dire, ç’a été un véritable déchirement. En plus, j’étais la petite sœur. (À Florie Valiquette) Donc quand j’arrive après ton solo, que tu es toute seule et que tu vas partir, il m’arrive d’y penser.
LD : Pour moi aussi, et surtout avec quelques années en plus. Quand on devient un peu plus âgée, notre monde social change un peu. Nos amies commencent à se marier, à avoir des enfants, le petit cercle social qu’on avait depuis l’école se délite. Et c’est ça que je ressens à la fin de Svadba. C’est comme dire au revoir à quelqu’un que tu as beaucoup aimé. Certes, on se verra encore, mais la personne jusqu’à présent à vos côtés ne sera pas entièrement là comme avant.
Le travail que vous avez réalisé avec les metteurs en scène Ted Huffmann et Zack Winokur portait-il une dimension nouvelle ?
PS : Je n’avais jamais travaillé comme ça, car il s’agit vraiment de partir du mouvement. C’est assez particulier au début. Au théâtre, même à l’opéra, on est tout de suite dirigé en tant que personnage, on a au moins un rapport psychologique entre les personnages et c’est ça qui était ici un peu différent. Au début, on ne savait pas trop qui on était.
FV : Mais c’est écrit comme ça, Svadba, d’une certaine façon, c’est très abstrait. Tout se passe en vingt-quatre heures.
PS : Ce sont surtout des jeux, ça peut être dénué de sens au premier abord.
LD : Ce travail physique m’a beaucoup apporté. Apprendre à me déplacer pour mieux chanter, mieux sentir ma partie vocale dans mon corps, et au final, mieux l’interpréter. On a beaucoup travaillé sur la dimension physique. Au début, on se dit, c’est bizarre, on ne fait que des mouvements, que se passe-t-il ?
FV : Avec le temps, au fur et à mesure des répétitions, on trouve le sens de tout cela, on voit les connexions entre les personnages, c’est donc finalement un travail très intéressant.
PS : Au départ, je me posais les mêmes questions ; c’était tellement compliqué de faire les mouvements qu’on nous demandait de faire, et avec cela d’être en place musicalement ; il fallait se concentrer sur la musique, ce n’était donc pas mal que ce soit un peu dénué d’interprétation, parce que c’est ça qui est intéressant dans le travail de Ted Huffmann et Zack Winokur, ils ne veulent pas qu’on en rajoute, qu’on interprète trop, ils voulaient qu’il se créé quelque chose par l’interaction des mouvements entre nous. Du coup, c’est dans la manière dont nous nous croisons qu’il se passe des choses. Et après, tout est naturel, comme la manière de se taper dans la main à la fin de la danse.
L’interview est terminée, merci à toutes les trois.
FV : C’est tout ? Pas d’autre question ? Et ma vie privée, alors, ça ne vous intéresse pas ? [rire collectif]
LD : Ah ça, c’est dans Svadba. Il faut voir le spectacle.
Propos recueillis par Sofiane Boussahel