“POULENC, LE MOZART DU XXE SIÈCLE”

AcadémieAu festival
mardi11juin 2013

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On ne présente plus Eric Le Sage. Pianiste de renommée internationale, il ouvrira cette année le bal du Festival d’Aix en juin avec une série de concerts consacrés à la musique de chambre de Francis Poulenc, dont il est depuis plus de vingt ans l’un des grands interprètes. Juste avant de commencer les répétitions au Grand Théâtre de Provence, il évoque avec nous son amour pour l’œuvre de ce grand compositeur…

Vous êtes ici dans votre ville natale, à Aix-en-Provence, où vous allez donner le coup d’envoi du Festival le 14 juin. Qu’éprouvez-vous à l’idée de participer au Festival d’Aix-en-Provence ? En tant que pianiste concertiste, comment vous situez-vous par rapport à cette manifestation, plus connue pour sa programmation d’opéra que pour la musique de chambre ?

Eric Le Sage : Je suis toujours très content de revenir à Aix. Il y a toujours ce ciel étonnant, ça me change de Paris ou de l’Allemagne où j’enseigne en ce moment… Et pour ce qui est du Festival, ce n’est pas non plus la première fois que j’y participe. Régulièrement, des programmations de concert y sont proposées autour d’un compositeur : en 2010, j’étais déjà venu pour le bicentenaire de la naissance de Schumann, dont j’ai enregistré beaucoup d’œuvres, et cette année, c’est le cinquantenaire de la disparition de Poulenc, qui est lui aussi l’un de mes compositeurs de prédilection. C’est bien tombé !

En tant qu’interprète, qu’est-ce qui vous plaît tout particulièrement dans la musique de Francis Poulenc ?

E. L. S. : La musique de chambre de Poulenc est très imaginative, très libre, très lyrique : c’est pour moi l’une des choses qu’il a le mieux réussies. Sa musique pour piano seul est aussi très belle, mais elle est plus automatique, peut-être parce qu’en tant que pianiste Poulenc connaissait tous les « trucs » – c’est lui-même qui l’a dit. Tandis que sa musique de chambre, comme sa musique vocale, est plus imaginative. Ça fait maintenant vingt ans que je la joue, et je ne m’en lasse pas.

Quels sont les morceaux de Poulenc que vous affectionnez le plus ?

E. L. S. : J’adore la Mélancolie pour piano, et j’aime aussi beaucoup la Sonate pour hautbois et piano qui est peut-être sa pièce de musique de chambre la plus poignante. Bien-sûr, il y a aussi Dialogues des Carmélites… ce qui est étonnant, c’est que c’est une musique qui n’a pas beaucoup bougé. Depuis que j’ai commencé à l’aborder, avec des musiciens comme Paul Meyer ou Emmanuel Pahud, nous jouons presque tous les ans au Japon et on nous demande à chaque fois de donner quelque chose de Poulenc. C’est une musique qui vieillit très bien. Même s’ils ne sont pas entièrement comparables, Poulenc et Mozart se ressemblent en tous cas là-dessus : leurs œuvres sont intemporelles, elles passent le cap de la modernité et parviennent à être universelles. On ne se demande même plus s’il est classique ou moderne, c’est juste du Poulenc, comme on dit : c’est Mozart. C’est à ça qu’on reconnaît les grands compositeurs.

Justement, lors des deux concerts que vous allez donner le 16 juin prochain, vous avez choisi d’associer des œuvres de Poulenc et de Mozart. Pourquoi ?

E. L. S. : Poulenc est très mozartien, dans le sens où comme Mozart il n’a pas inventé de nouveau langage, mais a écrit à partir de ce qui existait déjà. Ce n’était pas un révolutionnaire ! J’ai souvent joué des concertos pour deux pianos avec des pièces de Mozart et de Poulenc, et je trouve que ce sont deux compositeurs qui vont très bien ensemble : ils ont un côté très lumineux, sans pathos ; j’ai beaucoup de plaisir à les jouer l’un avec l’autre. Bien entendu, tous les interprètes ne perçoivent pas forcément les mêmes correspondances. Par exemple, pour moi il y a aussi beaucoup de liens entre Poulenc et Schumann – mais c’est parce que c’est moi et que j’adore ces deux musiciens ! C’est d’ailleurs comme si Poulenc faisait le lien entre Schumann et Mozart, qui sinon ne me semblent pas si proches. On peut aussi associer Poulenc avec pas mal de modernes, puisqu’il a eu également sa période de polyrythmie et de collages… C’est le propre des grands compositeurs : leur imaginaire est tellement grand qu’ils peuvent susciter une multitude d’approches. Ensuite, c’est l’interprète qui va chercher à donner un éclairage particulier, parfois même en trouvant des choses qui n’existent pas… mais quoi qu’il en soit, cette recherche est toujours passionnante !

Vous connaissez bien l’Académie européenne de musique, et vous vous prêtez cette année au jeu en donnant une master class publique le 14 juin. Pour vous qui êtes un musicien internationalement reconnu, que tirez-vous de cette expérience de la transmission à de jeunes artistes ?

E. L. S. : J’adore enseigner. Je suis professeur en Allemagne, à Fribourg, et c’est pour moi un plaisir – tant que je ne le fais pas trop ! Aix est la seule académie à laquelle je participe. J’aime ici le fait de pouvoir encadrer de jeunes instrumentistes et de jouer ensuite avec eux, j’estime que cela fait partie de ma mission. C’est très fatiguant, mais si je le fais à petite dose c’est très bien ! et puis l’Académie propose un cadre très agréable : on travaille dans de bonnes conditions, c’est calme, il fait beau [rires]…

Avant de se quitter, quelques dernières questions rapides : quelle est l’œuvre de Poulenc que vous recommanderiez à ceux qui ne connaissent pas encore sa musique ?

E. L. S. : La Sonate pour flûte et piano, qui est la plus connue, sinon il y a aussi Les Mamelles de Tirésias, une œuvre qui s’apparente au côté bouffon de Poulenc et qui sera elle aussi donnée au Festival cet été ! Mais de manière générale, toute la musique de chambre de Poulenc est très abordable, n’importe quelle œuvre peut donner envie d’en connaître d’avantage.

Une bonne raison d’écouter du Poulenc ?

E. L. S. : Découvrir le Mozart du XXe siècle !

Si Poulenc était en face de vous, quelle est la question que vous aimeriez lui poser ?

E. L. S. : Pourquoi a-t-il détruit son quatuor à cordes ? Il l’a jeté à la poubelle après une répétition, je trouve ça très dommage !

Propos recueillis par Marie Lobrichon