“LES BORÉADES”, UN COME-BACK AIXOIS

Au festival
vendredi18juillet 2014

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Contrebassiste dans l’ensemble des Musiciens du Louvre Grenoble, Jean-Michel Forest a participé en 1982 à la recréation des Boréades sous la direction de John Eliot Gardiner. L’œuvre, qui n’avait jamais été jouée du vivant de Rameau, était alors présentée pour la première fois dans une version scénique au Festival d’Aix-en-Provence. De retour cette année pour une version de concert de cette tragédie lyrique, avec Marc Minkowski à la baguette, il nous raconte l’itinéraire d’une œuvre étonnante.

Vous êtes un des musiciens pionniers qui ont joué Les Boréades en 1982 sous la direction de John Eliot Gardiner. Comment avez-vous abordé cette partition inédite à l’époque ?

L’œuvre était nouvelle pour nous tous en 1982, et pour les contrebasses en particulier, la situation était tout à fait singulière : il n’est pas sûr que la partie de contrebasse, manuscrite, soit réellement de la main de Rameau. Elle suit bien sûr les règles de la contrebasse de l’époque, notamment les règles édictées par Michel Corette. C’était pour moi une occasion rare de jouer sous la direction de John Eliot Gardiner, un chef d’orchestre d’une grande sévérité et d’une grande exigence. Même si la partie de violoncelle est très simple – nous n’avons que des noires ou des blanches à jouer –, la ligne doit être parfaite.

Quels principes vous ont guidé dans l’interprétation de cette ultime tragédie lyrique de Rameau ?

Dans la musique baroque, il est essentiel de respecter le style du compositeur et d’avoir une connaissance des lois de la musique de l’époque. Le choix de l’instrument est secondaire mais on se rend compte rapidement qu’il est plus facile de jouer selon les principes baroques sur un instrument ancien que sur un instrument moderne. En voici quelques exemples : dans la musique baroque, le vibrato est un ornement ; cela sonne naturellement bien si on ne vibre pas sur une corde en boyau, on peut alors enfler le son. Cela sonne beaucoup mieux qu’une corde en métal d’un instrument moderne qui n’est pas vibrée : le son est alors laid et criard. L’attaque est elle aussi différente, tout comme la vitesse de l’archet. Avec des instruments anciens, nous tentons des reconstitutions, forcément imparfaites, qui s’approchent d’une certaine vérité historique.

Peut-on déceler des changements dans l’interprétation des Boréades depuis 1982 et l’arrivée d’une nouvelle génération de chefs d’orchestre spécialisés dans ce         répertoire ?

Je ne crois pas car l’enregistrement de John Eliot Gardiner représente toujours la version de référence. Il n’existe d’ailleurs que très peu d’enregistrements différents de cette œuvre, notamment pour des raisons de droits d’auteur. Frans Brüggen, un autre spécialiste de cette musique, a lui aussi enregistré cette œuvre. Ses tempos sont plus rapides, en particulier pour les danses – mais il n’a enregistré que les parties instrumentales de l’opéra.

La partition des Boréades est particulièrement foisonnante et novatrice. Quels passages vous plaisent le plus ?

Je ne connais pas un musicien qui n’apprécie pas Rameau : chaque instrument est bien desservi et jouer cette musique est un vrai plaisir. Même pour la contrebasse, dont la partie est relativement simple, cette partition recèle des merveilles. Comme plus tard Berlioz, Ravel et Debussy, Rameau utilise une instrumentation spécifiquement française, il a un don d’orchestration incroyable. Il est étonnant de penser que cette œuvre a été composée par un homme âgé de quatre vingt ans. Le prélude de l’acte V est de ce point de vue surprenant : ses harmonies tâtonnantes font penser à la musique du XXe siècle ! Un peu comme dansJules César de Haendel ou Les Noces de Figaro de Mozart, Les Boréades comprend une succession de tubes et d’airs merveilleux qui nous donnent des frissons, même en répétition.

Propos recueillis par Pauline Lambert le 15 juillet 2014.

> A ECOUTER : le tête-à-tête avec Julie Fuchs et Chloé Briot, interprètes de Boréades en 2014

> A ECOUTER : extraits sonores des Boréades

> A VOIR : vidéo de présentation de la création des Boréades au Festival d’Aix-en-Provence 1982