Éditorial
Métamorphose de Calisto, réincarnation de Bouddha, transformation de Louise, Don Giovanni protéiforme… L’édition 2025 du Festival d’Aix-en-Provence est résolument placée sous le signe de la mutabilité inéluctable de toute chose comme de la perpétuelle réinvention de soi. « Il n’y a rien de stable dans l’univers ; tout passe, toutes les formes ne sont faites que pour aller et venir » avance Ovide dans ses Métamorphoses, dépeignant à travers La Calisto de Cavalli un fascinant continuum entre la nature, les hommes et les dieux.
Si les œuvres programmées cette année montrent avec une certaine constance la violence destructrice du désir contre l’objet de désir, si elles font traverser cette zone brumeuse dans laquelle l’humanité peut perdre ses repères les plus fondamentaux, elles indiquent tout de même aux plus vulnérables le ciel étoilé d’une possible émancipation. L’art en est alors souvent le viatique, lorsqu’il enseigne compassion et solidarité.
Constance et métamorphose : telle est la destinée du Festival depuis 1948 ; telle demeure sa philosophie en matière de programmation. En 2025, la fidélité à Mozart avec la huitième production de Don Giovanni, œuvre emblématique du Festival, à la création contemporaine à travers The Nine Jewelled Deer de Sivan Eldar et Ganavya Doraiswamy, au premier baroque italien illustré par La Calisto, troisième ouvrage de Cavalli programmé à Aix, ou à l’opéra français, va ainsi de pair avec l’élargissement de son répertoire incarné par Louise de Charpentier et le renouvellement du regard porté sur le canon avec The Story of Billy Budd, Sailor, d’après Britten. Donnés en version de concert, Les Pêcheurs de perles et La forza del destino participent de la même dynamique, permettant des débuts (Brian Jagde et Anna Pirozzi) ou des prises de rôle attendus (Pene Pati et Mané Galoyan).
Renouvellement dans la continuité, tel est également le principe qui anime la relation aux artistes, avec les retours de Sir Simon Rattle, Sébastien Daucé ou Marc Minkowski, Christof Loy, Ted Huffman ou Peter Sellars – prêts à relever de nouveaux défis ; mais aussi les débuts de figures de la mise en scène comme Jetske Mijnssen ou Robert Icke, de la composition avec Sivan Eldar ou Oliver Leith, et de la direction d’orchestre tel Giacomo Sagripanti.
Il en va de même pour la présence d’interprètes ayant marqué à divers titres l’histoire récente du Festival (Elsa Dreisig, Andrè Schuen, Magdalena Kožená, Golda Schultz, Anna Bonitatibus, Florian Sempey ou Michele Pertusi), quand d’autres noms prestigieux s’y produisent pour la première fois (Jonas Kaufmann, Diana Damrau) ; et partout un aréopage de jeunes artistes – issus pour une part de l’Académie – allant par mues successives vers toujours plus de maturité (Lauranne Oliva, Krzysztof Bączyk, Alex Rosen ou Paul-Antoine Bénos-Djian).
Comme chaque année, une proposition diversifiée de concerts apporte un vivifiant contrepoint à la programmation d’opéras – qu’il s’agisse de récitals (Ermonela Jaho, Stéphane Degout, Jakub Józef Orliński), de concerts symphoniques (l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise et l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée) ou de musique de chambre (le Quatuor Diotima), de soirées jazz et Méditerranée (EYM Trio avec Varijashree Venugopal et B.C. Manjunath, Waed Bouhassoun Quintet) ou des concerts conclusifs des résidences de l’Académie encadrés par les artistes les plus renommés (notamment la compositrice Unsuk Chin).
Cette programmation offre l’occasion de commémorer Bizet et Boulez mais aussi de célébrer à Aix « l’année Cézanne 2025 ». Ainsi que vous le révélera bientôt l’offre riche et variée d’Aix en juin, le Festival se montre en effet plus que jamais en prise avec son territoire, y déployant toute une série de propositions et de partenariats d’excellence : LUMA Foundation, Les Chorégies d’Orange, Les Théâtres, Opéra de Toulon, Opéra Grand Avignon, etc. Notre institution ne cesse en effet de pérenniser tout en les réinventant ses principes fondamentaux : une programmation artistique d’excellence, un ancrage local en même temps qu’un rayonnement international, une politique d’ouverture au plus grand nombre et une prise en considération toujours plus avancée de sa responsabilité sociétale et environnementale.
Quand tout semble instable et transitoire, l’art demeure, tel une boussole fiable. « J’étais perdu sur la mer infinie, mais j’ai aperçu une voile dans la tempête, la voile qui brille tout là-bas, et je suis satisfait » confie Vere à la fin de Billy Budd. Je vous souhaite une très belle édition 2025 !
PIERRE AUDI
Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence