L’ASSISTANT MUSICAL, LE GARDIEN DU TEMPLE DU TEMPO

Au festival
mardi15juillet 2014

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Nous poursuivons notre exploration des différents métiers de l’opéra avec cette rencontre avec Pierre Dumoussaud. Jeune chef d’orchestre déjà très talentueux, il est assistant musical de Marc Minkowski pour Il Turco in Italia de Rossini, représenté cette année au Théâtre de l’Archevêché.

En quoi consiste le métier d’assistant musical ? Quel est son rôle lors de la préparation d’un opéra ?

L’assistant musical est un chef d’orchestre à part entière, mais il remplit une mission tout à fait spécifique puisqu’il doit transmettre non pas sa propre conception de la partition mais celle du chef d’orchestre. Il est présent pendant toutes les répétitions scéniques, en l’absence du chef d’orchestre, afin d’être le gardien du temple du tempo du chef, le dépositaire de tous ses souhaits. Il doit être capable de diriger les chanteurs, sans non plus les assaillir de remarques musicales puisque c’est alors le travail de mise en scène qui prime.

Lorsque le chef d’orchestre arrive en répétition, environ deux semaines avant la première représentation, sa mission se transforme et il devient alors son secrétaire particulier, chargé de noter toutes ses corrections musicales ou techniques – par exemple sur la hauteur de la fosse ou l’éclairage des pupitres – et de les transmettre aux personnes concernées. Il est également sollicité en tant qu’oreille du chef d’orchestre, pour lui donner son avis sur l’équilibre sonore : c’est le fameux pouce de l’assistant, levé ou baissé, qui approuve ou sanctionne ces équilibres ! Cela implique un travail d’écoute permanent à partir des critères du chef d’orchestre.

Enfin, l’assistant musical doit être prêt à suppléer le chef d’orchestre en cas de besoin, s’il souhaite aller écouter les masses sonores dans la salle ou s’il rencontre le moindre problème.

La connaissance des critères de direction et d’appréciation du chef d’orchestre est donc essentielle dans votre travail. Comment vous coordonnez-vous avec lui ?

Tout se joue au moment des toutes premières répétitions musicales en sa présence. Je note alors très précisément ses choix de tempo, de phrasé, d’articulation, etc. afin de pouvoir les transmettre fidèlement lorsque je prends le relais lors des répétitions scéniques. J’aborde donc l’œuvre avec un état d’esprit bien spécifique : même si je connais parfaitement la partition, je dois faire abstraction de ma propre vision de l’œuvre, il faut que je garde une disponibilité d’esprit pour pouvoir m’imprégner des souhaits du chef, qui ne sont pas forcément les miens, et les faire respecter.

Comment avez-vous travaillé la partition d’Il Turco in Italia avant de venir à Aix-en-Provence ?

Je prépare de la même façon les partitions d’œuvres symphoniques et d’œuvres lyriques, si ce n’est qu’à l’opéra, le texte est primordial et qu’il est nécessaire de bien le comprendre et donc de le traduire intégralement. La préparation idéale pour un opéra consiste à chanter toutes les parties de chant, pour bien en maîtriser toutes les lignes vocales. Par ailleurs, j’écoute beaucoup d’enregistrements différents de l’œuvre. Les points de vue sont assez partagés sur cette question mais pour ma part, j’applique le précepte d’un de mes professeurs de direction que j’admire beaucoup, Nicolas Brochot, pour qui le seul moyen d’avoir une idée objective d’un objet, c’est d’en connaître plusieurs versions. Il ne s’agit que de ma quatrième production lyrique et je me familiarise peu à peu avec l’univers si particulier et fascinant de l’opéra.

À quelle occasion avez-vous rencontré Marc Minkowski, avec qui vous aviez déjà travaillé au Festival l’année dernière pour Don Giovanni ?

Je l’ai rencontré en avril 2011 à Grenoble, lors d’une master class qu’il organisait avec son ensemble Les Musiciens du Louvre Grenoble. Au moment où j’ai dirigé l’orchestre, j’ai senti qu’un lien particulier s’était créé et j’en ai été très touché. Son agent m’a ensuite contacté pour assister aux concerts de mon propre ensemble, l’Ensemble Furians. Puis j’ai été contacté pour préparer en moins de quinze jours l’enregistrement de l’intégrale des symphonies de Schubert ! Après Don Giovanni à Aix-en-Provence l’été dernier, j’ai participé en septembre 2013 à la production d’Alceste de Gluck à l’Opéra national de Paris et enfin à un double projet avec L’Histoire du soldat d’Igor Stravinsky et L’Amour sorcier de Manuel de Falla. Marc Minkowski m’a fait un cadeau formidable en me faisant confiance, il m’a permis de m’exercer et de diriger plusieurs fois l’orchestre, car il aime beaucoup écouter lui-même le résultat dans la salle.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cet ouvrage de Rossini ?

Il se dégage de cette musique une énergie formidable : l’opéra est drôle, divertissant et très frais. On trouve toute une palette de tempos rapides, ce qui donne un éclairage particulier aux rares moments de drame : je pense notamment à l’arrêt sur images qu’est la fin a cappella du quintette ou à l’arrivée du Turc Selim, accompagné du chœur d’hommes. Avec différents effets d’orchestration, Rossini parvient à créer une figuration de la houle très réussie : des accents forte piano aux cordes sont accompagnés au même moment par des accords forte aux vents. Les deux airs de Narciso, magnifiques, sont ceux qui se rapprochent peut-être le plus de l’opera seria et ils sont magnifiquement interprétés par le ténor Lawrence Brownlee. L’amusement constant que l’on ressent donne encore plus de relief aux rares moments plus lents et intenses.

Propos recueillis par Pauline Lambert

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