Le contre-ténor argentin Franco Fagioli fait partie des grands interprètes du répertoire haendélien. Pour sa première participation au Festival d’Aix, il incarne Piacere dans la production d’Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel. Rencontre avec un chanteur passionnément exubérant.
Vous connaissez le répertoire haendélien comme votre poche. Qui était Haendel selon vous ?
Haendel, c’est un peu le Andrew Lloyd Webber (Cats, Le Fantôme de l’opéra) de l’époque ! C’est un brillant homme d’affaires ! Il suffit de jeter un œil à sa période londonienne. Haendel est également un génie qui a été capable de créer un discours musical très personnel.
Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
À cette époque, les castrats règnent en maîtres en Italie. Carestini ou Caffarelli font partie de ces chanteurs surentraînés par de grands professeurs, notamment par Nicola Porpora. Ils interviennent donc dans l’écriture de la partition de l’opéra qu’ils s’apprêtent à chanter. Haendel a une vingtaine d’années quand il débarque en Italie. Il découvre l’opéra italien de l’époque et s’en inspire, et malgré les directives imposées par les chanteurs, il parvient à se démarquer de ces contemporains (Leo, Vinci, Pergolesi). Il crée sa propre version de l’opéra italien et impose sa marque de fabrique dans sa musique.
Aviez-vous déjà incarné le personnage de Piacere ?
Non car Piacere est habituellement chanté par une mezzo-soprano. J’ai adoré l’idée qu’on me propose cette version pour contre-ténor au Festival d’Aix. Même si, avec ma tessiture, j’ai l’habitude de chanter des partitions chantées par des femmes (Sesto dans La Clémence de Titus, Idamante dans Idomeneo), cela reste toujours un challenge.
Comment décririez-vous Piacere ?
Piacere ! Pleasure ! Plaisir ! Il y a tellement de manières de le décrire. Dans cet oratorio, mon rôle est de dire : Carpe Diem ! Profite de la vie, ne pense ni au futur, ni au passé. Tu vas peut-être vieillir et devenir laide, tu vas peut-être tomber malade, mais peut-être pas ! Prends les pétales et laisse les épines, ainsi tu ne te blesseras pas. C’est une partition très colorée et tout ça est très bien exprimé dans la musique d’Haendel.
Comment s’est déroulée la collaboration avec Krzysztof Warlikowski ?
C’est très inspirant. Il a une idée très claire de l’histoire qu’il veut raconter. Il évoque la jeunesse d’aujourd’hui, ces jeunes qui grandissent dans des familles compliquées et qui parfois font des erreurs en cherchant un sens à leur vie. Dans la première partie, tout ce qui arrive à Bellezza se déroule dans sa tête. C’est comme si elle rêvait ou qu’elle était encore sous l’effet de la drogue qu’elle a avalée la nuit précédente. Je ne suis pas réel, Temps et Désillusion non plus. D’ailleurs quand je lui parle, elle ne me regarde jamais, l’infirmière non plus, car je n’existe que dans sa tête. Dans la deuxième partie, nous devenons réels, nous devenons les membres d’une seule et même famille. Je deviens ce frère qui essaie d’arracher Bellezza aux griffes de nos parents. C’est une idée géniale !
Quand on vous observe dans cette mise en scène, on décèle un certain plaisir d’incarner un bad boy…
C’est très amusant, j’avoue. Disons que normalement, avec mon type de voix, je chante le rôle du héros, de l’amoureux ou de celui qui souffre. Ici, Piacere est un personnage multiple. Il est gentil, parfois irrésistible, mais il est aussi jaloux et rusé. C’est un peu comme Néron dans Le Couronnement de Poppée. J’adore jouer ce genre de personnage un peu fou ! Piacere est fait de contrastes. J’ai donc cherché à créer un personnage qu’on a parfois envie de suivre, mais pas systématiquement.
C’est-à-dire ?
Dans cette mise en scène, Bellezza rumine constamment des idées noires. J’essaie de la persuader de ne pas se laisser submerger par ses mauvaises pensées et de lui montrer qu’il y a peut-être un autre chemin. À la fin de cette production, elle se suicide. C’est terrible ! Finalement, c’est quoi le pire ? Qu’elle se suicide ou qu’elle ait parfois de mauvaises fréquentations ? Je ne suis peut-être pas la meilleure personne qu’elle puisse suivre mais finalement je ne suis peut-être pas la pire…
Propos recueillis par Saskia de Ville le 8 juillet 2016
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