[RE]CRÉER IDOMENEO DE MOZART

Histoire du FestivalAu festival
mardi8mars 2022

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Cette année, le Festival monte une nouvelle production d’Idomeneo, Re di Creta de Mozart (1781). Elle est mise en scène par Satoshi Miyagi, metteur en scène japonais de renom international, qui relie les traditions théâtrales orientales et occidentales, et dont Idomeneo constitue le premier travail pour l’opéra en Europe, et dirigée par Raphaël Pichon, directeur de l’Ensemble Pygmalion, fidèle au Festival et réputé pour ses interprétations de musique ancienne et classique. Œuvre rare, il ne s’agit que de la quatrième production qu’en propose le Festival d’Aix depuis sa fondation en 1948.

Aix-en-Provence est le lieu français d’élection de la redécouverte de Mozart par le grand public. Certaines œuvres du compositeur autrichien avaient fait l’objet d’une première redécouverte dans l’entre-deux-guerres, mais étaient souvent jouées de façon partielle ou escamotée, en français et non en allemand ou en italien. Le Festival accentue ce travail d'exhumation après la Seconde Guerre mondiale. Oublié rapidement après sa création, redécouverte au tournant du XIXe et du XXe siècle notamment par Strauss, puis à Salzbourg et Glyndebourne au début des années 1950, Idomeneo rejoint le canon mozartien du Festival en 1963. Le Festival d’Aix se fait alors un laboratoire du travail musical sur Idomeneo, et plus largement sur l’ensemble de l’œuvre lyrique de Mozart, notamment en confiant sa direction musicale à des orchestres ou des ensembles spécialisés dans l’interprétation de la musique de l’époque classique.

1963-1966 : REDONNER VIE À IDOMENEO

Gabriel Dussurget, fondateur et directeur artistique du Festival de 1948 à 1972 souhaite redonner vie à l’opera seria de Mozart en Provence. Le succès est au rendez-vous, et la production est reprise en 1966. Peter Maag dirige chaque fois l’Orchestre des Concerts Colonne. Le chef suisse, alors au début de sa grande carrière de directeur musical d’opéras mozartiens, ressuscite la partition de Mozart pour le public d’Aix, dans une version toutefois quelque peu tronquée. Suzanne Lalique signe les décors de ce premier Idomeneo du Festival. Le grand dragon articulé surgissant des flots au cours du deuxième acte est sans doute la pièce emblématique de l’œuvre. La jeune artiste se lance dans la peinture et la scénographie pendant l’entre-deux-guerres. Elle conçoit notamment les décors pour les mises en scènes de Jean Meyer à la Comédie Française. Au Festival d’Aix, Gabriel Dussurget la sollicite pour travailler sur Dido and Aeneas de Purcell (1960), Il combatimento de Monteverdi et L’incoronazione di Poppea (1961), puis Idomeneo.

Dans Idomeneo, Mozart compose deux moments de ballet : un intermezzo et un ballet final. En 1963, Georges Skibine, maître de ballet de l’Opéra de Paris et ancien danseur des Ballets russes, chorégraphie l’intermezzo de l’acte I. Ce n’est pas la seule fois où les héritiers des Ballets russes participent au Festival - Gabriel Dussurget avait un goût tout particulier pour la danse et les compagnies découvertes dans le cadre de son travail au Théâtre des Champs-Élysées. Il veut faire d’Aix un creuset de la modernité artistique, y recréer une association entre les arts plastiques, la musique, la danse.

1986, PREMIÈRE INCURSION D’IDOMENEO EN EXTRÊME-ORIENT

En 1986, Louis Erlo - directeur du Festival entre 1982 et 1996, en même temps qu’il dirige l’Opéra de Lyon et l’Opéra Studio de l’Opéra de Paris - monte une nouvelle version de l’œuvre. Elle est dirigée par Hans Graf, spécialiste de Mozart et alors à la tête du Mozarteum de Salzbourg. La mise en scène est assurée par Pierre Strosser, qui propose une scénographie épurée et librement inspirée du théâtre Nô. Sur un long plan incliné représentant le rivage crétois, les personnages défilent avec lenteur. La tension dramatique de la musique de Mozart se prolonge dans cette mise en scène presque immobile.

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Idomeneo, production de 1986. Acte II, n°11, « Se il padre perdei », Sylvia Greenberg et Philip Langridge.

Patrice Cauchetier propose des costumes d’inspiration coréenne, rejoignant l’univers asiatique convoqué par Pierre Strosser. Patrice Cauchetier est l’un des créateurs costume les plus importants de sa génération, notamment en essayant de rendre le costume de scène crédible, ancré dans une époque, informé historiquement. Cette réalisation pour Idomeneo en est une belle démonstration. Avec la mise en scène de Satoshi Miyagi, ce sera donc la seconde fois qu’Idomeneo rencontre à Aix l’imaginaire extrême-oriental : influences coréennes en 1986, japonaises en 2022.

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Patrice Cauchetier, maquettes de costumes pour Idomeneo, 1986. Fonds du Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence, Ville d'Aix-en-Provence - Musée des Tapisseries, don de l’artiste.

2009 : IDOMENEO PAR OLIVIER PY

C’est ensuite Bernard Foccroulle qui programme Idomeneo en 2009, confiant la direction musicale aux Musiciens du Louvre, sous la baguette de Marc Minkowski.

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Idomeneo de Mozart dans la mise en scène d'Olivier Py - Richard Croft (Idomeneo), dirigé par Marc Minkowski - Festival d'Aix-en-Provence 2009 © Elisabeth Carecchio

Dans un impressionnant décor de Pierre-André Weitz, véritable « cosmogonie à trois niveaux », Olivier Py traite la thématique mythologique d’Idomeneo comme un sujet de société. Le conflit qui oppose Idamante à son père fait écho au malaise inconscient d’une génération post-soixante-huitarde, déroutée par les ordres arbitraires de leurs aînés. Le chœur, qui évolue sous de grands échafaudages, amplifie le drame familial qui se joue au-dessus de lui.

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Idomeneo de Mozart dans la mise en scène d'Olivier Py - Le chœur de la Radio de Berlin dans un décor de Pierre Weitz - Festival d'Aix-en-Provence 2009 / © Elisabeth Carecchio

 

Anne Le Berre