Moïse et Pharaon de Rossini (1827) est donné pour la première fois cet été au Festival d’Aix-en-Provence. Œuvre rare, ce grand opéra s’inscrit dans une tradition ancienne du Festival, qui a fait vivre et découvrir les pièces lyriques et les œuvres de musique religieuse de Rossini.
Après l’opera buffa (Il Barbiere di Siviglia), l’opera seria (productions de Semiramide et Tancredi au début des années 1980), ainsi que la musique religieuse dans les années 1990, le Festival ouvre en 2022 un nouveau chapitre rossinien avec Moïse et Pharaon.
IL BARBIERE DI SIVIGLIA, UNIQUE JOYAU ROSSINIEN AU PAYS DE MOZART
Il Barbiere di Siviglia (1816) est une des productions des « origines » du Festival. Créée en 1953, et reprise cinq fois jusqu’en 1969, elle est profondément liée à la période de direction de Gabriel Dussurget. Aux côtés de Don Giovanni, Così fan tutte et Le Nozze di Figaro, Il Barbiere di Siviglia complète les œuvres mozartiennes et fait partie du canon des œuvres des premiers temps du Festival.
Pourtant éloigné de la musique ancienne ou de celle de Mozart, l’opéra de Rossini trouve sa place au Festival d’Aix-en-Provence grâce à son sujet. Le livret du Barbiere tout comme celui des Nozze di Figaro se fonde en effet sur les pièces de théâtre de Beaumarchais, Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784).
Les deux opéras constituent ainsi un diptyque qui justifie la place du Barbiere, opera buffa du XIXe siècle, au Festival. Pour les critiques de l’époque, Rossini est « l’autre génie tutélaire de l’Aix méditerranéen », procède du même esprit et de la même légèreté que celle de Mozart.

Il Barbiere di Siviglia, Festival d'Aix-en-Provence 1967. Roger Soyer dans le rôle de Basilio, devant le clavecin et le paravent peints par André Derain. Fonds du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, photographie Bouville, Ville d'Aix-en-Provence - Musée des Tapisseries.
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À une époque où l’on joue de Rossini quasiment exclusivement le Barbiere, on en apprécie avant tout le rythme, la légèreté, la théâtralité. Les décors d’André Derain, la mise en scène joyeuse de Maurice Sarazzin, la direction du chef italien Carlo-Maria Giulini (qui vient de prendre la direction de la Scala de Milan l’année de la création du Barbiere à Aix) et les interprétations de Teresa Berganza, Luigi Alva, Marcello Cortis et Roger Soyer à partir de la fin des années 1950 en assurent la popularité.
LE FESTIVAL D’AIX ET « LE PUR PLAISIR » DE ROSSINI
Au début des années 1970, un autre opéra bouffe de Rossini fait son entrée au répertoire du Festival : L’Italiana in Algeri (1970). C’est ensuite le tour du Turco in Italia (1982), et de La Cenerentola (1983). Ces œuvres sont perçues comme des prolongements du Barbiere, et sont appréciées pour les mêmes caractéristiques esthétiques que celui-ci : fraîcheur, amusement, dépaysement. Les mises en scènes de ces « turqueries » sont particulièrement goûtées par le public.

Matias, maquette de costumes de L’Italiana in Algeri, Festival d'Aix-en-Provence 1970. Fonds du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, Ville d'Aix-en-Provence - Musée des Tapisseries.
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Ce répertoire a conservé une place de choix au Festival d’Aix, faisant l’objet de productions régulières jusque dans les années les plus récentes.

Il Barbiere di Siviglia, Festival d'Aix-en-Provence 1984 (mise en scène de Roberto de Simone, décors de Mauro Carosi et costumes d’Odette Nicoletti). Au centre, Magali Damonte. Fonds du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, photographie Ville d’Aix-en-Provence.
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Il Turco in Italia, Festival d'Aix-en-Provence 2014 (mise en scène de Christopher Alden, décors d’Andrew Lieberman). Fonds du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, photographie Pascal Victor / ArtcomPress.
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(RE)CRÉER : FAIRE REVIVRE L’OPERA SERIA DE ROSSINI
Bernard Lefort, ancien chanteur lyrique, prend la direction du Festival en 1974 et modifie considérablement l’orientation du répertoire. Après la renaissance de Mozart, c’est le tour de celle d’une partie de l’œuvre de Rossini : l’opera seria.
Le Festival de Pesaro (Italie), ville natale de Rossini, est créé en 1980 et se donne pour mission de redonner ses lettres de noblesse à l’ensemble de la production lyrique du compositeur. C’est pourtant à Aix-en-Provence que ressuscitent précocement les œuvres « sérieuses » de Rossini : Elisabetta Regina d’Inghilterra (1975), Semiramide (1980), Tancredi (1981).
Le mouvement commence en 1975 avec une production inédite d’Elisabetta, Regina d’Inghilterra aux arènes d’Arles. Montserrat Caballé endosse le rôle-titre. La production donne lieu à un enregistrement, qui sert longtemps de version de référence, jusqu’à la fin des années 1990.
En 1980 et 1981, deux grandes réussites viennent couronner la fin du mandat de Bernard Lefort avant sa prise de fonction à la tête de l’Opéra de Paris. Les productions de Semiramide (mise en scène de Pier Luigi Pizzi) et de Tancredi (mise en scène de Jean-Claude Auvray) montrent ainsi que Rossini n’est pas seulement le compositeur du léger Barbiere di Siviglia.
Le succès est notamment dû aux deux duos de chanteuses qui incarnent les protagonistes de ces opéras. Exigeants sur le plan de la virtuosité vocale comme sur celui de l’expression dramatique, ces duos de femmes (la mezzo-soprano Marylin Horne incarnant toujours les personnages masculins) présentent la séparation douloureuse de couples déchirés par des enjeux politiques. L’exécution brillante de ces airs dans des mises en scènes novatrices font de ces productions de grands moments du Festival.
REPORTAGE VIDÉO : MONTSERRAT CABALLÉ (SÉMIRAMIS) & MARYLIN HORNE (ARSACE)
Louis Erlo, directeur du Festival de 1982 à 1996, poursuit l’impulsion donnée par Bernard Lefort. Il programme ainsi en 1988 Armida, qui rencontre un succès plus mitigé malgré un casting de haut niveau – la soprano américaine June Anderson incarnait Armide.
Cet été, le grand opéra de Rossini Moïse et Pharaon sera également servi par de grandes voix, et prolongera l’excellence du Festival en la matière : Michele Pertusi, Pene Pati et Jeanine de Bique participeront à cette nouvelle production.
INTERPRÉTER : ROSSINI, DE LA SCÈNE LYRIQUE AU CONCERT
Au tournant des années 1990, le répertoire de Rossini acquiert une nouvelle place au Festival. En 1992, on célèbre le bicentenaire de la naissance du compositeur. Cet événement accentue le travail de recherche autour son œuvre, et fait découvrir un autre aspect du musicien, qui est aussi compositeur de musique sacrée.
Rossini achève ainsi de perdre son étiquette de compositeur d’opéra léger, et l’on salue alors la richesse musicale de son œuvre.
À partir de 1990, le Festival propose en concert à la Cathédrale Saint-Sauveur sa Messa di Gloria (1820), son Stabat Mater (1842) et sa Petite messe solennelle (1864).
En 1992, le Festival d’Aix marque à sa façon le bicentenaire de la naissance de Rossini, en proposant un concert-hommage de Samuel Ramey au Théâtre de l’Archevêché. Ce grand interprète du répertoire du bel canto avait participé à la production de Semiramide en 1980. En 1992, il chante des extraits du Barbiere, de Semiramide et de Tancredi, œuvres lyriques les plus marquantes de Rossini au Festival.
À l’occasion de Parade[s] en 2014, l’orchestre et les solistes de la production du Turco in Italia célèbrent à nouveau le compositeur sur le Cours Mirabeau pour un grand concert gratuit.

Alessandro Corbelli et Olga Peretyatko interprètent des extraits du Turco in Italia sur le cours Mirabeau, sous la statue du Roi René, à l’occasion du concert public Parade[s] - Festival d'Aix-en-Provence 2014. Ils sont dirigés par Marc Minkowski et accompagnés par les Musiciens du Louvre. Fonds du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, photographie Festival d’Aix
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Cette année, Florian Sempey et Karine Deshayes exploreront encore une nouvelle facette de Rossini au Festival en proposant un concert de mélodies du compositeur.
Anne Le Berre
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