FRANCESCO CAVALLI : LE BAROQUE VÉNITIEN À L’HONNEUR À AIX-EN-PROVENCE

Histoire du Festival
lundi7avril 2025

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Cet été, l’un des chefs d’œuvre de Francesco Cavalli (1602-1676) fait son entrée au répertoire du Festival d’Aix-en-Provence : La Calisto (1651), dans une mise en scène de Jetske Mijnssen et sous la direction musicale de Sébastien Daucé à la tête de l’Ensemble Correspondances. Après avoir présenté deux opéras rares et oubliés de Cavalli (Elena en 2013 et Erismena en 2017), et plus récemment, un triptyque consacré à l’œuvre de Monteverdi entre 2021 et 2024, le Festival d’Aix continue de célébrer l’opéra vénitien et se replonge dans l’œuvre foisonnante de Francesco Cavalli.

EXHUMER DES ŒUVRES PERDUES ET OUBLIÉES, REDÉCOUVRIR L’ŒUVRE DE FRANCESCO CAVALLI

Depuis sa création en 1948, le Festival d’Aix a largement participé à faire découvrir ou redécouvrir des œuvres rares, qu’il s’agisse d’opéras ou de pièces instrumentales – à commencer par le répertoire mozartien. Les musiques de l’époque baroque constituent un des piliers du répertoire de l’institution, notamment en ce qui concerne l’exhumation de partitions et d’œuvres méconnues. C’est notamment le cas de Platée de Rameau, opéra-bouffe redécouvert en 1956 sur les planches du Théâtre de l’Archevêché, et plus tard des Boréades (1982), dont la création scénique a également lieu à Aix-en-Provence, sous la baguette de John-Eliot Gardiner. Le Festival a également été un centre de diffusion du premier baroque, avec des adaptations scéniques de madrigaux de Monteverdi dans les années 1950 et 1960. Cette tradition se déploie encore au XXIe siècle, à travers la programmation régulière d’opéras de Francesco Cavalli et de Claudio Monteverdi. Bernard Foccroulle, avec la complicité de Leonardo García Alarcón, propose dans les années 2010 un diptyque tiré de l’œuvre du plus célèbre des élèves de Monteverdi : Elena (2013) et Erismena (2017).

Le chef d’orchestre Leonardo García Alarcón est l’un des grands artisans du retour de la musique de Cavalli sur les scènes lyriques au XXIe siècle. Si de premières résurrections ont lieu à la fin du XXe siècle, sous les baguettes de Sir Raymond Leppard ou de René Jacobs, le chef argentin s’empare avec son ensemble Cappella Mediterranea de l’œuvre de celui qui était le compositeur d’opéra le plus donné au XVIIe siècle, n’hésitant pas à comparer régulièrement son génie musical avec celui de Mozart. Alarcón ranime ainsi au Festival d’Aix deux opéras du maître vénitien, dans le sillage de l’édition critique des 27 opéras de Cavalli en 2013. Cette même année, il porte Elena à la scène plus de 350 ans après sa dernière représentation. Il enregistre un disque de grands airs de Cavalli (2015), avant de faire entrer ce dernier au répertoire de l’Opéra national de Paris avec Eliogabalo (2016). En 2017, il présente au public d’Aix Erismena, un autre bijou du répertoire baroque vénitien.

2013 – ELENA

Le Festival d’Aix livre à l’été 2013 la première production intégrale et scénique de Elena, depuis sa dernière représentation en 1659. Tout comme La Calisto, Elena est le fruit d’une collaboration entre le compositeur Francesco Cavalli et le librettiste Giovanni Faustini – mais l’œuvre reste inachevée puisque ce dernier décède en 1651, en pleine finalisation du livret. D’autres collaborateurs reprennent la main, pour donner naissance quelques années plus tard à un opéra qui aurait été quasi-contemporain de La Calisto dans l’œuvre de Cavalli. Récit de la jeunesse d’Hélène de Sparte avant son enlèvement, l’histoire est le prétexte à mille rebondissements, impliquant déguisements, tromperies et rapts amoureux. En pleine période de développement de l’esthétique de l’opéra vénitien dans les théâtres privés, l’œuvre fait la part belle au mélange des genres – dans lequel Francesco Cavalli excelle –, dans une esthétique propice au divertissement, sans être exempte d’une certaine profondeur sur les relations amoureuses.

Cappella Mediterranea propose pour Aix-en-Provence une version resserrée à trois heures de musique. La partition offre des airs à la vocalité virtuose, servis par une galerie de voix de jeunes artistes, parmi lesquels Fernando Guimaraes (Thésée), Solenn Lavanant Linke (Hippolyte), Anna Reinhold, Scott Conner et Mariana Flores, ainsi qu’Emöke Barath dans le rôle d’Hélène, accompagnée du contre-ténor roumain Valer Barna-Sabadus en Ménélas.

À l’instar de L’incoronazione di Poppea, Elena traite du désir amoureux pris dans des relations de pouvoir. Jean-Yves Ruf proposait une mise en scène de ces jeux de séduction au cœur d’une arène reconstituée dans le cadre du Théâtre du Jeu de Paume ; l’espace se transformait, selon les sinuosités et les errances passagères des désirs des personnages, grâce à des jeux de grands voilages. Cette production de Elena fait figure d’événement pour les scènes lyriques ; son succès unanime la porte en tournée dans toute l’Europe pendant plusieurs années. Depuis cette date, le Festival d’Aix-en-Provence continue de programmer l’œuvre foisonnante de Cavalli.

2017 – ERISMENA

Leonardo García Alarcón poursuit la mise en lumière de l’œuvre de Francesco Cavalli dans les années suivantes. Toujours avec son ensemble, il présente une production de Il Giasone (1649) au Grand Théâtre de Genève en 2016 ; et l’été 2017, il revient à Aix pour compléter ce tableau avec Erismena. Le titre est particulièrement rare : il n’avait pas été redonné en version complète depuis son succès au XVIIe siècle, bien qu’exhumé par bribes dans les années 1960 par Alan Curtis. Très différent dans sa construction de Elena, Erismena est constitué d’une succession de petits ariosos, sans beaucoup de récitatifs.

L’opéra contraste avec les œuvres aux sujets mythologiques que Francesco Cavalli a plus traditionnellement traités, et déploie une esthétique tragi-comique pleine de vivacité dont il a le secret. Créé au cœur de la foisonnante période vénitienne du compositeur, l’opéra consiste en un vaste chassé-croisé d’une multitude de personnages amoureux infidèles, multipliant les travestissements et les intrigues sentimentales.

Jean Bellorini signe sa première réalisation scénique au Festival d’Aix avec Erismena – mettant en scène cette grande galerie de personnages, vêtus de costumes imaginés par Macha Makeïeff, dans un esprit gothique coloré, entre sensualité moderne et baroque extravagant. Le metteur en scène recrée ainsi une véritable troupe autour de Leonardo García Alarcón, constituée majoritairement d’anciens artistes passés par l’Académie du Festival, ainsi que des résidents de l’Académie Voix 2017 – parmi lesquels la mezzo-soprano Lea Desandre et le contre-ténor Jakub Józef Orliński, ou encore Susanna Hurrell.

2025 – LA CALISTO

Si Leonardo García Alarcón demeure un fidèle pilier du Festival, notamment en dirigeant régulièrement des œuvres de Monteverdi depuis 2022 à Aix, c’est cette fois-ci à Sébastien Daucé et l’ensemble Correspondances de reprendre le flambeau cavallien. Spécialisés dans la musique du Grand Siècle, Sébastien Daucé et son ensemble avaient déjà livré à Aix-en-Provence une interprétation de musiques de Monteverdi, Cavalli et Rossi réunies dans un spectacle inédit : Combattimento, la théorie du cygne noir (2021).

Sans recouvrir la dimension de recréation presque totale qu’avaient pu constituer les productions de Elena et de Erismena, cette production 2025 de La Calisto consacre l’œuvre de Francesco Cavalli comme un classique du répertoire du baroque vénitien. Avec cette troisième programmation en à peine dix ans, le Festival d’Aix s’impose progressivement comme un des lieux les plus importants pour faire découvrir au public la dramaturgie festive et la musique raffinée de Francesco Cavalli.

Anne Le Berre

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