Rencontre avec Krzysztof Bączyk, Faust / L'Inquisiteur dans L'Ange de feu

Au festivalAcadémie
mercredi18juillet 2018

Partager

Vendredi 13 juillet, 18h, 1h30 avant la représentation de L’Ange de feu au Grand Théâtre de Provence, je m’introduis dans la loge de la basse polonaise Krzysztof Bączyk que l’on retrouve tout de blanc vêtu dans la peau de L’Inquisiteur, ou encore sous les traits d’un docteur Faust dont les intonations prédicatrices jurent avec une existence aussi minable que cauchemardesque. Les questions ne tardent pas à déferler…

 

Décrivez-nous le rôle de Faust que vous interprétez dans L’Ange de feu

Ce qui est très curieux pour le rôle de Faust, c’est que la tessiture que Prokofiev lui prête n’a rien à voir avec ce que l’on a l’habitude d’entendre dans la tradition opératique. Les tessitures sont pour ainsi dire inversées entre Faust et Méphistophélès. La voix de basse déployant une ligne vocale prédicatrice de Faust contraste avec celle de ténor de Méphistophélès plutôt criarde. Faust se présente ici comme un être blasé. Il sombre dans l’alcool, fréquente un bar des plus louches, s’affale sur le comptoir. Il est vidé, fatigué, lessivé. Pour couronner le tout, le voilà accompagné par Méphistophélès dont l’existence n’est certes pas plus lumineuse ou exaltante. Si encore leur relation – on pourrait dire aussi leur compagnonnage – fonctionnait, mais non, Faust traite Méphistophélès comme une vieille épouse pour laquelle il a perdu tout désir. Il subit sa présence, écoute ses propos en soupirant. Méphistophélès le soûle presque autant que l’alcool !

Quant à Heinrich et L’Inquisiteur…

Pour moi Heinrich, l’Inquisiteur et l’Ange de feu sont une seule et même personne. L’Inquisiteur est un être à la fois très fort et très vulnérable. C’est un perfectionniste pour ne pas dire un maniaque. Il est toujours propre sur lui, pas un pli, pas une tache sur son costume d’une blancheur immaculée. Jamais un mot plus haut que l’autre. L’Inquisiteur, impassible, ne s’altère jamais. Il est d’une assurance à toute épreuve. Il agit avec calme et fermeté ; rien ne le presse. L’Inquisiteur inspecte lentement le corps des jeunes-filles de l’internat comme on inspecterait de la viande dans un abattoir. Tout doit être parfait, tout doit être en ordre. Seule Renata est capable de le déstabiliser. D’ailleurs, il ne la touche pas de la même manière que les autres jeunes-filles. Avec Renata, il perd son sang-froid, se montre nerveux et fait preuve d’une certaine agressivité qu’on ne lui connaissait pas jusqu’alors. Perdrait-il ses moyens ?

Comment avez-vous préparé le rôle ardu de L’Inquisiteur ?

Cela a été très compliqué, car il fallait que je me mette dans la peau d’un homme aveugle. J’ai donc beaucoup travaillé le langage du corps. Ma canne me permet de m’orienter, de diriger mes pas. Je tourne la tête du côté où mon oreille perçoit un son. Je dois dire que le metteur en scène Mariusz Treliński a toujours été là pour me conseiller et me soutenir. Il n’hésitait pas à monter sur scène pour me faire des propositions tout en me laissant une grande marge de manœuvre. Il avait à la fois les idées claires, savait exactement là où il voulait aller tout en restant à l’écoute de mes suggestions quitte à revoir parfois sa copie. Je n’ai jamais été aussi bien dirigé que pour cette production, et cela m’a vraiment permis de grandir en tant que comédien.

Vous êtes un habitué du Festival d’Aix et êtes passé par les bancs de l’Académie du Festival, racontez-nous…

C’est une longue et belle histoire celle qui me relie au Festival d’Aix et à son Académie. J’ai participé en 2012 à l’Atelier Opéra en Création de l’Académie du Festival, l’année suivante, j’ai eu le bonheur de participer à la Résidence Mozart ce qui m’a valu de remporter le Prix des Amis du Festival. Des engagements pour des rôles au sein de productions du Festival ont naturellement suivi. D’abord, avec Elena de Cavalli en tournée, puis, Lauréat HSBC de l’Académie en 2014, j’ai chanté tour à tour dans La Flûte enchantée et Alcina. En 2017, j’étais Masetto dans Don Giovanni et aujourd’hui, j’ai la chance de me retrouver dans la distribution de L’Ange de feu après avoir remporté le Prix Gabriel Dussurget. Si on regarde ce parcours de près, on se rend compte qu’il ne s’est pas passé une année sans que je collabore activement avec le Festival d’Aix et son Académie… À y repenser… seul 2016 manque à l’appel ! J’estime que c’est une fantastique marge de progression et j’invite tous les jeunes chanteurs à en faire autant, car l’Académie offre de grandes opportunités. J’y ai appris beaucoup, elle m’a donné ma première chance et j’ai pu être en contact avec des personnalités qui comptent vraiment dans le paysage lyrique international. Me voilà comblé !

Les rôles de vos rêves ?

Méphistophélès dans Faust de Gounod, Philippe II dans Don Carlos de Verdi et, dans dix ou quinze ans peut-être, le rôle-titre de Boris Godounov de Moussorgski.

Propos recueillis par Aurélie Barbuscia