HOMMAGE À PETER EÖTVÖS
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Le Festival a appris avec beaucoup d’émotion la disparition de Peter Eötvös, ce dimanche 24 mars. Figure majeure de l’art lyrique de notre temps, à la fois comme compositeur, directeur musical et pédagogue, Peter Eötvös était un infatigable promoteur de la musique contemporaine. À la tête de l’Ensemble intercontemporain de 1978 à 1991, proche de Karlheinz Stockhausen et de Pierre Boulez, il laisse également derrière lui de nombreuses compositions dans le domaine lyrique. Ses passages à Aix-en-Provence, en particulier pour la création de son deuxième opéra Le Balcon (2002), ont contribué à faire du Festival l’important centre de création lyrique contemporaine qu’il est devenu au XXIe siècle.
Le compositeur et chef d’orchestre hongrois, né en 1944 en Transylvanie, développe sa carrière dans l’Europe de la guerre froide et des effervescences musicales de l’Allemagne des années 1960. Marqué par l’œuvre de son compatriote Béla Bartók – en particulier Le Château de Barbe-Bleue – il se forme à l’Académie Franz Liszt (Budapest) avant de gagner Cologne, à l’Ouest, en 1966. Il y rencontre Karlheinz Stockhausen et sa musique, et travaille pendant plus de dix ans pour le studio de musique électronique de la Radio de Cologne. Prestigieux chef d’orchestre de musique contemporaine, créateur du Donnerstag aus Licht de Stockhausen (1981), il dirige le concert inaugural de l’Ensemble intercontemporain à l’IRCAM (1978) et demeure le directeur artistique de l’ensemble jusqu’en 1991.
Cette carrière se double d’une vaste production d’œuvres en tout genre, particulièrement pour la scène lyrique. Très jeune, Peter Eötvös écrit des musiques de film et est engagé comme répétiteur pour les chanteurs au théâtre, dessinant son goût pour la dramaturgie musicale. De 1998 à 2021, il compose treize opéras, dans de nombreuses langues et sur les livrets les plus variés, se confrontant à une multiplicité de styles et de cultures. Il est l’un des compositeurs d’opéra contemporain les plus joués aujourd’hui, avec des œuvres reprises dans diverses mises en scène. Après son marquant Trois Sœurs (1998) d’après Tchékhov, Stéphane Lissner lui commande en 2002 un deuxième opéra pour le Festival d’Aix-en-Provence : Le Balcon, d’après la pièce de théâtre de Jean Genet. L’opéra est créé le 5 juillet 2002 sur la scène du Théâtre de l’Archevêché, en ouverture du Festival, marquant la volonté de l’institution de placer la musique contemporaine et la création au cœur de son répertoire.
Dirigé par Peter Eötvös lui-même à la tête de l’Ensemble intercontemporain, l’opéra en dix tableaux est très fidèle au texte de Genet. Alors qu’une révolution gronde au-dehors, les représentants de la Justice, de l’Église, de la Police et de l’Armée se sont réfugiés au bordel du « Grand Balcon » ; une mascarade sociale s’y joue, « glorification de l’Image et du Reflet » selon le mot de Genet, jusqu’à ce que le pouvoir soit renversé et repris par la tenancière du Grand Balcon, Mme Irma.
Quand j’ai accepté de composer Le Balcon pour Aix-en-Provence, j’ai tout de suite pensé à ces autres formes que prenaient pour moi le théâtre (la comédie, le cabaret), et j’ai pensé à faire de la pièce de Genet une sorte d’opérette, dans l’esprit d’Offenbach.
Stanislas Nordey, metteur en scène et co-écrivain de l’opéra, imagine avec Emmanuel Clolus un décor aux multiples miroirs, interrogeant la réalité et les représentations de la situation. La dramaturgie musicale oppose les univers du dedans – le bordel, salon musical où les solistes de l’EIC accompagnent les chanteurs sur scène, en formation de chambre – et du dehors – une ville assaillie par des insurgés. L’élocution percutante des chanteurs, dans un style parfois proche de la chanson française, sur fond de références jazz ou baroques, rend la parole chantée presque évidente, soulignant l’innocence ou la démesure des protagonistes. L’œuvre créée à Aix poursuit sa vie sur les scènes lyriques européennes, dans diverses mises en scènes – jusqu’à sa récente reprise en 2014 au Théâtre de l’Athénée (Paris) sous la direction musicale de Maxime Pascal.
Peter Eötvös est resté un compagnon de route du Festival, y encourageant la création contemporaine en tant que passeur et pédagogue – activité qui lui tenait particulièrement à cœur. Il encadre en 2011 une des sessions de l’Atelier Opéra en Création (AOC) de l’Académie Européenne de Musique du Festival d’Aix. Cet atelier rassemble chaque année des artistes de toutes les disciplines engagées dans la fabrique d’un opéra, pour y interroger la place de l’interdisciplinarité dans la création lyrique.
Cette génération de jeunes créateurs est très informée. Ils ont déjà une grande expérience de leur art. Il m’importe de savoir ce que je peux faire partager de mes cinquante années d’expérience. Nous avons ici 16 jeunes artistes dont une dizaine de compositeurs qui sont au seuil de leur carrière. Je leur ressemble beaucoup. Je leur donne des réponses et en même temps, j’apprends beaucoup d’eux. C’est un dialogue très intense.
Propos de Peter Eötvös recueillis par Patrick de Maria, La Marseillaise, 1er juillet 2011
Optimiste pour le devenir de la création lyrique, Peter Eötvös a montré tout au long de sa carrière qu’il était possible et nécessaire de créer de l’opéra au XXIe siècle – sur les scènes, mais aussi en formant les publics, les créateurs et créatrices de demain. Le Festival d’Aix rend hommage à cette figure brillante et humaniste, qui a accompagné depuis plusieurs années sa conviction de promouvoir la musique lyrique contemporaine. Pierre Audi, qui entretenait des liens artistiques anciens et privilégiés avec Peter Eötvös, et le Festival d’Aix adressent toute leurs pensées à sa famille et à ses proches.
À écouter sur France Musique : Les archives Peter Eötvös
Peter Eötvös - Festival d'Aix-en-Provence 2002
© Elisabeth Carecchio
Peter Eötvös - Festival d'Aix-en-Provence 2011
© Jean-Claude Carbonne