[ MENTORAT DE CHEFFES 2023 ] ENTRETIEN CROISÉ ENTRE L’ADAMI ET L’ACADÉMIE DU FESTIVAL

Académie
mercredi12avril 2023

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Après le succès d’une première édition du Mentorat de cheffes en 2021, l’Académie du Festival d’Aix réitère en 2023 l’invitation faite aux cheffes d’orchestre expérimentées, souhaitant développer et perfectionner leur expérience de l’opéra. L’Adami accompagne ce programme depuis ses débuts. Paul Briottet, Directeur adjoint de l’Académie et Anne Bouvier, Présidente de l’Adami racontent cet engagement auprès des cheffes.

L’Adami a pu soutenir le Festival d’Aix sur plusieurs années, mais vous avez récemment souhaité renouveler votre soutien en ciblant notamment le Mentorat de cheffes d’orchestre, nouvelle résidence de l’Académie du Festival d’Aix, créée en 2021. Pourquoi ce changement ?

Anne Bouvier : Pendant longtemps, l’Adami soutenait financièrement les Festivals. Aujourd’hui, les choses ont changé pour des raisons économiques avant tout. Finalement, cela nous a obligés à repenser notre action auprès de ces structures et ainsi, redonner un sens à notre soutien. L’action de l’Adami va plus loin que le simple soutien financier et depuis la réforme de l’action artistique, notre volonté est avant tout de valoriser nos artistes-interprètes.

Une restructuration aux conséquences positives puisque les artistes sont au cœur de vos projets aujourd’hui.

Anne Bouvier : C’est exactement cela. L’Adami s’est recentré sur le cœur de ses missions c’est-à-dire répartir les droits et aider les artistes tout au long de leur carrière.

Paul Briottet : Au cœur de vos missions se trouvent les artistes-interprètes. Qu’ils soient chanteurs ou instrumentistes, ils sont représentés par les Talents Classiques de l’Adami. Qu’en est-il des cheffes/chefs d’orchestre ?

A.B : Les chefs/cheffes d’orchestre sont aussi des artistes-interprètes. Avant le Mentorat de cheffes de l’Académie du Festival d’Aix, l’Adami ne soutenait plus depuis quelques années ce corps de métier. Le soutien de l’Adami répond donc à un besoin de représenter ce métier et ces artistes.

Par ailleurs, l’Adami et le Festival partagent les mêmes valeurs : les labels AFNOR diversité et égalité professionnelle pour le Festival et la Charte des valeurs portée par l’Adami, par exemple. Depuis trois-quatre ans, l’Adami travaille aussi sur ces enjeux, et évidemment, la visibilité des femmes nous interpelle. Spécialement lorsqu’on sait qu’il n’y a que 12% de cheffes d’orchestre au niveau mondial. Soutenir le Mentorat de cheffes de l’Académie nous a surtout permis de rencontrer les artistes, de mieux comprendre leurs besoins, leurs attentes, pour savoir comment mieux les aider dans leur carrière.

P.B : Effectivement, la résidence de Mentorat de cheffes répond à une problématique majeure d’un secteur dans lequel, à différents endroits, la représentation des hommes et celle des femmes sont déséquilibrées. Au-delà de ce mentorat, c’est en fait l’enjeude la place des femmes dans le secteur de l’art lyrique et de la musique classique qui réunit l’Adami et le Festival d’Aix.

Il y a sept ans, l’Académie a imaginé et mis en place avec la metteuses en scène britannique Katie Mitchell, un programme destiné aux Créatrices d’Opéra, une résidence qui se concentre sur les quatre principaux rôles artistiques que constituent l’équipe de création d’un opéra : création et direction musicale, l’écriture du livret et la mise-en-scène.

Ce programme s’est construit comme réponse à la problématique d’inégalité dans le secteur. Il a permis de développer des outils à destination des artistes, mais aussi des institutions qui les accueillent, afin d’inscrire une dynamique systématisée en faveur d’artistes femmes dans les programmations à l’opéra. Dès la première édition de ce programme, nous avons rencontré une vraie difficulté à recruter des cheffes d’orchestre, contrairement aux trois autres professions. Le faible nombre de candidatures de cheffes a perduré d’année en année, ce qui a révélé l’enjeu particulier que représente l’égalité des sexes dans ce métier. La création du Mentorat de cheffes d’orchestre est née de ce constat et en a donc constitué sa spécificité.

A.B : Nous avons également été confrontés à ce problème de diversité pour nos talents Adami Cinéma. Alors nous sommes allés dans les écoles pour en parler, faire connaître le projet. C’est la même chose pour les cheffes : pour avoir accès à un poste de cheffe d’orchestre, il faut déjà connaitre ces formations. Du côté des institutions, c’est une dynamique à enclencher.

P.B : De nombreux programmes qui valorisent les cheffes d’orchestre existent désormais : académies, concours, tremplins... Tous ces programmes, y compris le Mentorat de l’Académie du Festival d’Aix s’inscrivent dans un principe de sélection. Cependant, une fois que les artistes sont sélectionnées, le Mentorat de l’Académie diffère des autres dans sa volonté de ne pas mettre les cheffes en compétition, de la même manière que l’Adami le fait avec ses Talents Classique. On se positionne en accompagnement individuel des artistes tout en sortant d’un système de compétition qui domine dans le secteur, cette idée reçue que pour arriver à la notoriété il faut passer par des concours.

A.B : Oui, c’est important de montrer qu’il est possible de transmettre, de discuter entre artistes sans être en compétition. On est tous d’accord qu’il faut passer par cette phase de sélection. Mais une fois la sélection dépassée, c’est bien d’élargir à cet accompagnement, cette transmission. L’Adami a d’ailleurs mis en place des bourses de compagnonnage récemment qui s’adressent à tous secteurs, classique ou non qui permettent aux artistes d'élargir leur champ de compétences et de se perfectionner grâce à la transmission d'un artiste confirmé.

En quoi consiste ce Mentorat de cheffes ?

A.B : Je définirai ce mentorat comme l’accompagnement de deux cheffes d’orchestre pendant dix-huit mois au cours desquels elles ont la possibilité d’assister à des master classes, d’avoir des rencontres privilégiées avec des chefs comme Thomas Hengelbrock de L’Orchestre Balthasar Neuman cette année, de faire des rencontres, d’améliorer leurs compétences, d’avoir une visibilité à l’international.

P.B : Effectivement. C’est aussi un programme qui a pour particularité d’être conçu sur mesure. Le choix d’accompagner deux cheffes cette année seulement (trois cheffes en 2021) s’explique par la volonté de se recentrer sur l’individu. Ce qui nous permet d’avoir une meilleure écoute et une plus grande réactivité aux besoins de chacune. On est au cœur de l’accompagnement de carrière individualisé.

En 2023, j’ai souhaité pousser plus loin l’exposition médiatique et la valorisation de ces cheffes, en exploitant le principal outil que nous avons au Festival : son attractivité. Cela se traduit par l’inscription des deux cheffes sélectionnées dans la programmation de juillet, au cœur donc de la série des concerts du Festival d’Aix. Le plus bel espace médiatique que nous pouvons leur offrir. Aujourd’hui, le Festival leur offre une très belle vitrine, un cadeau rarement donné à cet endroit de carrière au sein d’un festival de cette envergure.

L’autre particularité mentionnée tout à l’heure, c’est l’effacement de toute forme de mise en compétition. En choisissant deux artistes à niveau égal de carrière mais avec chacune leurs spécificités techniques, de parcours et de personnalités, j’ai tenu à instaurer un espace de dialogue direct entre elles. Lucie Legay et Anna Castro Grinstein se partageront la direction d’un même concert. Nous avons convenu, avec la direction artistique de l’Orchestre Balthasar Neumann, que le programme de ce concert serait conçu par elles, en prenant en compte certaines contraintes, mais surtout en valorisant chacune le répertoire qu’elles souhaitent défendre, tout en ayant une conscience globale et dramaturgique du programme. Tout en valorisant leur identité artistique propre, elles offriront une vraie soirée de Festival, se passant la baguette à tour de rôle, tout cela dans un climat de sororité et hors-compétition.

A.B : C'est merveilleux qu’il y ait ce concert cette année et de pouvoir construire le programme de cette façon. J'espère que cela ouvrira des perspectives dans d'autres domaines parce que cette manière de faire et de penser est très nouvelle dans nos métiers.

P.B : Oui tout à fait. L’Académie, s’attache à déconstruire ces modes de fonctionnement et de pensée en essayant d’accompagner au mieux les artistes. L’esprit collectif, même réduit à deux personnes, est essentiel au message que nous souhaitons véhiculer.

Comme vous le disiez justement, le programme de Mentorat de cheffes s’inscrit sur le long terme. Il commence avec la sélection des artistes, puis une première réunion en présence de l’ensemble des acteurs de la résidence nous permet de faire un premier tour de table afin de répondre à leurs questions sur le programme et connaître leurs attentes. On ouvre donc à ce moment-là un espace de dialogue entre elles et avec l’Académie qui sera constant jusqu'à l'été. Tout se fait dans un partage d’expertise : les conseils et l’écoute que l’Académie leur apporte est au plus proche de leur sensibilité, de leur personnalité.

Pour revenir à l’exposition médiatique qui fait du mentorat un programme singulier, quel enjeu l’Adami attache à cet événement ?

A.B : Après avoir interrogé les artistes sur leurs besoins, il est apparu essentiel de mettre en place des ateliers pour aider les artistes et les structures à optimiser leur visibilité sur les réseaux. Nous avons également mis en place des aides financières pour la création de contenu numérique. Le programme de Mentorat de cheffes rejoint donc notre souci d’exposition médiatique et d’ouverture à l’international. 

P.B : Effectivement, le Festival et l’Adami se complètent bien à cet endroit. Aix est un grand marché international de l’opéra. Cela permet de créer des rencontres, de stimuler un réseau pour ces deux cheffes qui ont une notoriété internationale à construire.

Les ateliers et le soutien financier mis en place par l’Adami complètent l’apport du Festival en terme d’opportunités de rencontre, d’exposition médiatique, de conseils artistiques et de réseau. Compter l’Adami parmi nos partenaires de ce programme est significatif puisque c’est un moyen pour ancrer encore plus notre accompagnement, pour valoriser le soutien direct que peut leur apporter l’Adami et pour renforcer ainsi les expertises dont elles peuvent avoir besoin pour développer leur carrière à l’opéra.

A.B : Et l’Adami vient en renfort de ce suivi-là, pour les aider à développer leurs projets personnels, la communication sur les réseaux, sans oublier les aides financières concrètes. Et puis, vous les y préparez : l’Académie d’Aix c’est un peu la pépinière des artistes de demain, non ?

P.B : Tout à fait. Cet été, nous fêtons les 25 ans de l’Académie, créée à l’initiative de Stéphane Lissner, sous l’impulsion de Pierre Boulez, avec la volonté de faire d’Aix le lieu de nouvelles générations d’artistes. Il y a toujours eu à Aix cette idée que la carrière et la notoriété des artistes peuvent y trouver une belle impulsion. Ce qui a sous-tendu la création de l’Académie il y a vingt-cinq ans, c’est la volonté de faire perdurer cette dynamique et de l’inscrire dans un programme dédié. Pendant plusieurs années, l’Académie était donc présentée comme révélatrice de jeunes talents. Cette notion de « révélateur de talent » a un peu évolué au fil du temps pour justement déconstruire toute l’idée de compétition qu’elle pouvait contenir.

L’Académie accueille aujourd’hui de nombreux artistes établis mais dans une grande diversité de métiers et de parcours. Elle a pour vocation de s’ouvrir toujours plus et de s’inscrire en complémentarité des académies et programmes tremplin qui existent dans le domaine.

A.B : Il y a une vraie curiosité de votre public, c’est ça qui est très beau. Avoir à cœur de faire découvrir des nouveaux talents. C'est merveilleux de pouvoir travailler sur ces 2 axes : d’être dans la tradition et en même temps dans l'innovation.

P.B : Apposer tradition et innovation par ce principe de curiosité qui habite le public - et nous aussi du côté de la programmation - résume bien l’esprit du Festival. Un festival c’est un événement auquel on se dédie jour et nuit : on se lève tôt, on se couche tard, et on voit plein de choses pendant la journée. On a un appétit pour des choses qu’on ne serait pas allé voir d’une autre façon. Et c’est aussi pour cette raison que l’Académie a toute sa place.

Quels sont les perspectives pour l’Académie pour ces 25 prochaines années ?

P.B : L’idée serait de renforcer les moments de rencontre et de partage entre les artistes de différentes disciplines qu’accueille l’Académie, en allongeant les temps de résidence par exemple, et en instaurant plus de séances de travail ou de recherche en commun.  Je souhaite aussi qu’une plus grande visibilité soit donnée au créateurs et créatrices en juillet. L’organisation des rencontres Opera Makers au sein des Journées professionnelles du Festival lancées en 2021, sont un moyen, mais nous allons en développer d’autres.

Créer plus d’endroits et de moments de dialogue et de rencontres est aussi une façon d'assurer une cohésion au sein d’une même génération d’artistes (entre 25 et 40 ans). C’est créer un maillage intergénérationnel qui existe déjà, mais de manière plus créative.

A.B : L’Adami travaille aussi sur les croisements, les liens entre différentes esthétiques. Nous sommes le seul organisme de gestion de droits à représenter autant de diversité esthétique. C’est une force qu’il faut exploiter davantage ; créer de la transversalité, des croisements, des réseaux d’entraide. Il faut remettre le collectif au cœur de la musique qui est un espace de dialogue et non plus uniquement un lieu de compétition et de prestige.

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