Le Festival d’Aix-en-Provence fête cette année ses 75 ans !
Depuis 75 ans, et plus que jamais, le Festival présente au public, dans l’écrin magique d’Aix-en-Provence et de sa région, des propositions qui renouvellent les approches et le répertoire, élargissent les contours de l’opéra, dialoguent avec les autres arts et modifient le rapport entre les œuvres, les publics et les lieux – dessinant pour la création de nouvelles orientations. C’est ainsi que l’événement d’ouverture de cette édition, au Théâtre de l’Archevêché, est L’opéra de quat’sous, chef-d’œuvre de théâtre musical satirique interprété par la troupe de la Comédie-Française, qui marque les débuts de Thomas Ostermeier sur une scène lyrique.
La réouverture du Stadium de Vitrolles, saluée comme un grand événement international, est tout aussi représentative : ce lieu modulable rend en effet possibles les projets les plus variés, qui font évoluer l’identité du Festival et attirent de nouveaux publics. Cette année, l’Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä accomplit la prouesse de donner en une seule soirée les trois ballets les plus célèbres de Stravinski, que des cinéastes inventifs – Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico et Evangelia Kranioti – revisitent librement dans des fables montrant l’art, la condition humaine et la nature aux prises avec une forme de démesure.
Cette volonté d’innovation traverse l’ensemble de la programmation avec, notamment : Così fan tutte – l’œuvre des débuts du Festival en 1948 – vu par Dmitri Tcherniakov comme un jeu de rôles amer pour couples expérimentés ; Wozzeck, qui signe l’entrée de Berg au répertoire du Festival, et l’interprétation en version de concert du rare Prophète de Meyerbeer, glorieux représentant d’un genre dans lequel il ne s’était jamais aventuré ; ou encore une grande soirée-cabaret dont le pianiste Kirill Gerstein, l’une des personnalités musicales les plus fascinantes aujourd’hui, est le maître de cérémonie.
Depuis 75 ans, et plus que jamais, la musique contemporaine occupe une place de choix, avec trois créations majeures : d’abord Picture a day like this de George Benjamin et Martin Crimp, onze ans après le succès mémorable de Written on Skin – un conte philosophique grave et léger qui suit une jeune femme lancée dans la quête éperdue d’une preuve tangible de bonheur ; ensuite The Faggots and Their Friends Between Revolutions de Philip Venables et Ted Huffman, revue musicale baroque et iconoclaste célébrant joyeusement tous les types de différences ; enfin une œuvre orchestrale de Betsy Jolas, commandée conjointement par le London Symphony Orchestra et le Festival à l’occasion de cet anniversaire. La compositrice de 97 ans, qui a assisté à la première édition du Festival, jette un regard serein sur l’ensemble du parcours accompli. George Benjamin, Betsy Jolas et Kirill Gerstein sont par ailleurs mis à l’honneur dans des portraits illustrant les différentes facettes de leur art.
Depuis 75 ans, et plus que jamais, l’opéra se fait au Festival le miroir du monde, qu’il exprime dans des paraboles artistiques d’où jaillissent beauté, émotion et pensée vive – même du matériau le plus sombre. L’opéra de quat’sous, Così fan tutte, Wozzeck, les ballets de Stravinski, Le Prophète, Otello, Lucie de Lammermoor : les œuvres proposées cette année convoquent des époques de confusion morale et d’oppression, des gestes de démesure, et par-dessus tout des dispositifs de manipulation – des faibles, des femmes, des foules – qui résonnent fortement avec notre temps. Le plus souvent, ces fables existentielles et parcours initiatiques empreints de cruauté mènent fatalement l’individu et la collectivité à leur perte ; mais ils rendent aussi parfois possible, paradoxalement, la découverte de soi et l’émancipation – l’être humain s’y montrant tout à la fois incroyablement vulnérable et extraordinairement fort.
Depuis 75 ans, et plus que jamais, le Festival pratique l’excellence. Nombre des orchestres ayant écrit son histoire récente sont à Aix cet été – du London Symphony au Mahler Chamber Orchestra en passant par les orchestres Balthasar Neumann ou de l’Opéra de Lyon. Parmi les chefs, il faut noter le retour de Sir Simon Rattle, Susanna Mälkki, Thomas Hengelbrock, Daniele Rustioni ou Michele Mariotti – ce dernier à la tête des forces du Teatro di San Carlo de Naples – mais aussi la venue de Maxime Pascal et de son ensemble Le Balcon. Les noms les plus en vue de la mise en scène ont été réunis, parmi lesquels on peut citer encore Simon McBurney pour Wozzeck – qui bénéficie de l’incarnation majeure de Christian Gerhaher dans le rôle-titre – ou Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma. Certains des plus grands chanteurs de la scène internationale y font leurs débuts, notamment dans l’exceptionnelle série d’opéras en version de concert et les récitals, de Jonas Kaufmann à Asmik Grigorian, en passant par John Osborn, Anita Rachvelishvili, Lisette Oropesa, Maria Agresta ou Pretty Yende. Et l’on se réjouit de retrouver des artistes comme Ludovic Tézier, Marianne Crebassa, Pene Pati, Florian Sempey, Nicole Chevalier et Jacquelyn Stucker ; ou de faire plus ample connaissance avec des représentants de la nouvelle génération comme Mané Galoyan, Liv Redpath et Fatma Said.
En contrepoint de la programmation d’opéra, une ambitieuse proposition de quinze concerts parcourt toutes les époques et tous les styles, de Mozart à la création contemporaine et de la grande œuvre chorale au concert symphonique, en passant par la musique de chambre, le jazz et les musiques de la Méditerranée – où des créateurs et interprètes virtuoses tels que Lakecia Benjamin, les Gharbi Twins, le Noé Clerc Trio accompagné de Robinson Khoury et Minino Garay et le sextet Mosaïc partagent un même goût du collectif et de la transmission auquel s’ajoute parfois une profondeur spirituelle : autant de valeurs que l’on retrouve dans le grand concert de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée dirigé par Duncan Ward.
Enfin, le Festival, c’est aussi l’offre riche, diverse et gratuite d’Aix en juin : le Wajdi Riahi Trio et les « Voix de Silvacane », qui font résonner des chœurs d’Arvo Pärt, des spirituals et de la poésie soufie ; les concerts des Résidences de musique de chambre et de chant de l’Académie, mise à l’honneur à l’occasion de ses 25 ans dans le grand concert Parade[s] sur le cours Mirabeau, qui va de Mozart à la musique cubaine ; un grand week-end pour fêter les 15 ans du service éducatif et socio-artistique Passerelles ; la programmation de films en partenariat avec les cinémas d’Aix ; et une journée qui ouvrira le grand chantier consacré aux collections et à la mémoire du Festival. Enfin, le public pourra de nouveau suivre les « préludes » aux opéras et dialoguer avec les artistes dans le cadre des « tête-à-tête » et des « midis », également disponibles sur #LASCÈNENUMÉRIQUE.
Cher public, les artistes, les équipes et moi-même sommes heureux de vous donner rendez-vous l’été prochain pour découvrir ou retrouver dans l’art vivant et son partage sensible ce qui fait du Festival d’Aix-en-Provence une expérience unique. Une nouvelle fois et plus que jamais.
PIERRE AUDI
Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence